L’œuvre sans auteur est le nouveau film du réalisateur allemand Florian Henckel von Donnersmark a qui l'on doit l'inoubliable La vie des autres. Il s'agit une fois de plus d'une plongée dans la grande histoire de l'Allemagne, en s'intéressant à l'histoire de quelques personnages dont notamment des artistes. Là où la vie des autres se déroulait dans l'ex RDA et mettait aux prises des artistes et la STASI, l’œuvre sans auteur a un spectre beaucoup plus important.
En effet, ce film commence dans l'Allemagne en pleine montée du nazisme lors de l'année 1937 et l'exposition sur l'art dégénéré à Dresde, pour s'achever en 1966, en RFA. Sans oublier de passer quelque temps en ex RDA communiste. Grande ambition narrative, grandes promesses. Et on en récolte vraiment chaque fruit un par un. On regrettera toutefois la distribution bizarre de ce film en deux parties, ce qui signifie deux séances différentes et par conséquent deux places à acheter.
Partie 1: Tout ce qui est vrai est beau
L'art a une place prépondérante dans cette histoire car on suit la vie de Kurst, jeune garçon passionné de peinture. On le retrouve pour la première fois dans une exposition sur l'art dégénéré en compagnie de sa tante, Elisabeth (magnifique Saskia Rosendahl). De ce petit enfant et de cette jeune fille, férus d'art, nait une réflexion véritable sur sa fonction, sa perception, ses buts et ses moyens. Contraste saisissant entre le guide nazi qui ne cesse de fustiger les œuvres exposées comme étant décadentes car ne représentant pas des choses réelles à ses yeux. Et pourtant, cette exposition touche l'enfant. Les Kandinsky et autres vont toucher l'enfant qui admettra à demi mot qu'il apprécie ce qu'il a vu. Mais en ces périodes de troubles politiques, il vaut mieux se faire discret. Le guide, doctement martèle "Kunst kommt von kennen" (l'art vient de la connaissance), alors que ce n'est pas vrai. L'art vient de la vérité et de l'émotion. Choses combattues avec force par des idéologies qui ont jalonné l'Allemagne au 20ème siècle. L'art est ce qui distingue l'humain des autres espèces vivantes. Les nazis, dans leur quête de la race pure, vont donc d'abord s'en prendre à l'art pour le rendre conforme à l'idéologie, avant de refaçonner l'humain à leur guise. Dans cette épopée au cœur de ce qu'a été l'Allemagne dans la première moitié du 20ème siècle, rien ne nous sera épargné. La façon dont un régime traite l'art en dit beaucoup de la façon dont il traite sa population. Et par conséquent, en sus de l'antisémitisme qui a amené a des crimes atroces, l'idée de maintient de pureté de la race s'accompagnait aussi de l'élimination des personnes malades mentalement. Ces troubles pouvaient aller de la schizophrénie au mongolisme, la sanction était toujours la même, le zyklon b. Et pourtant, réfléchissons ensemble sur le profil de certains artistes. Art et maladie mentale vont souvent de paire. Van Gogh par exemple avait des soucis mentaux. Robert Schumann a fini sa vie à l'asile, ce n'est pas pour autant que cela l'a empêché d'être un des compositeurs les plus importants du romantisme. On doit certainement de très belles pages de Maupassant à sa neurosyphilis. Et l'hommage à la folie de Schumann est subtile dans cette histoire. Élisabeth, personnage fascinant, souffle d'une légère schizophrénie. A un moment du film, elle entend constamment la note la, en tapant sur n'importe quel support, comme Schumann à la fin de sa vie. Mais dans l'Allemagne Nazie, le fou est un poids trop lourd à porter, alors que l'histoire de l'art montre bien que l'on ne peut pas s'en priver.
On voit également à quel point le poison de l'idéologie s'immisce partout dans la société. Le père de Kurst qui adhère au partie Nazi sans le cœur et il en paye les conséquences après la guerre, ou au contraire, le professeur Seband (extraordinaire Sebastian Koch) qui embrasse l'idéologie nazie, en portant impeccablement son uniforme SS et participant activement à la politique d'eugénisme en stérilisant les personnes déviantes aux yeux du parti. Puis le communisme qui s’immisce après la défaite, et qui apporte à l'art son réalisme socialiste, dans une séquence en miroir sur celle vue précédemment au sujet de l'art dégénéré.
Mais malgré ces idéologies pesantes sur la terre allemande, l'art et l'amour parviennent quand même à prospérer. Kurst grandit en effet (touchant Tom Schilling) et son talent lui ouvre des perspectives. Et sa rencontre avec Ellie, (diminutif d'Elisabeth, comme le personnage de sa tante, étonnant miroir), amène la passion amoureuse (intense Paula Beer).
Enfin, au niveau de la réalisation, des séquences marquantes. Notamment la photo sombre, froide et belle de la séquence des autobus, ou la science du montage afin de montrer l'enchaînement d'événements tragiques de la guerre.
Partie 2: Les conséquences
La partie 2 est moins intense émotionnellement, la guerre est finie, les enjeux sont moins graves. Et pourtant, un nazi subsiste. En effet, le professeur Seband est passé entre les goûtes, comme bon nombre de ses camarades. Et dans une métaphore saisissante, assume totalement qu'il n'aura pas à subir les conséquences de son passé nazi, en faisant une allusion au fait qu'en commençant à fumer à 63 ans, on n'avait pas le temps d'en tomber malade. Maintenant de l'autre côté du mur, en RFA, l'art se confronte au capitalisme, à la performance, à ce qui pourrait être du vide mais à ce qui est enfin une réelle liberté de créer. Mais le passé n'est jamais loin, qu'il soit communiste, nazi ou sentimental. Car l'art, c'est avant tout dire qui on est. C'est avant tout révéler une vérité, qui s'illustrera davantage dans l’œuvre elle-même que dans les explications qu'on pourra bien en donner à posteriori. Il ne peut pas y avoir de faux semblant, ni de mensonge. Et la morale de cette histoire, c'est que même si la justice peut passer à côté de certains criminels, l'art sera là pour les rappeler à l'ordre et les montrer au monde tels qu'ils sont réellement. Ce passé qui ressurgit dans l’œuvre de Kurst lui permet d'affirmer qui il est réellement et d'enfin libérer sa force créatrice dans le contexte de la RFA.
Conclusion
Film d'une magnitude émotionnelle impressionnante, surtout dans sa première partie, il devient plus contemplatif dans la seconde. Inspiré de la vie de Gerhard Richter, ce film parvient à marier brillamment l'histoire de ses personnages avec la grande histoire de l'Allemagne. En convoquant l'art, l'amour, la politique et bien d'autres ingrédients forts intéressants. Histoire authentiquement allemande, qui montre ce que ce pays a eu de pire mais aussi ce qu'il y a de meilleur. Une résilience nécessaire, où l'on voit que même sur une terre qui a connu l'horreur, il est encore possible d'aimer, il est encore possible de créer, il est encore possible de vivre. Il est enfin encore possible d’espérer. Oeuvre sans auteur mais néanmoins indispensable.