Rare sont les réalisateurs qui frappent aussi fort dès leur premier essai. Dario Argento, maître incontesté du giallo, n'avait que 28 ans au moment du tournage. Ce parfait inconnu, pourtant co-scénariste d'Il était une fois dans l'Ouest, se lança dans l'écriture et la réalisation de ce bijou avec d’innombrables références en tête. Si Mario Bava est l'inventeur du giallo avec des films comme La fille qui en savait trop ou 6 femmes pour l'assassin, Dario Argento est sans nul doute celui qui lui a donné ses lettres de noblesse. Genre ultra codifié, le giallo allait passer à la vitesse supérieure avec cet Oiseau au plumage de cristal.
Toute le talent d'Argento consiste à maquiller sa mise en scène derrière un scénario de base somme toute classique : Un homme est le témoin impuissant d'un meurtre, l'assassin est introuvable, il décide d'enquêter ... Le propre des génies est de faire du sublime à partir d'un matériau apparemment banal. Hors Argento est un génie qui transcende le genre policier pour le réinventer. Toute la matrice du giallo est déjà là : Tueur mystérieux et ganté, meurtres graphiques, érotisme macabre, scène de suspenses frisant l'horreur, tendance au gore, enquête trépidante etc. Le metteur en scène réussit à installer une ambiance particulièrement stressante et étouffante avec brio, notamment lors de la scène ou une femme isolée est attaquée par le tueur chez elle. Le spectateur se crispe et embrasse le point de vue de la victime, Argento nous glace le sang sans effets superflus. En grand maniériste, l'Italien soigne la forme comme personne. La réalisation est magnifique, Argento composant de superbes plans picturaux tous plus audacieux les uns que les autres. La musique d'Ennio Morriconne épouse parfaitement la mise en image et participe de l'ambiance malsaine de l'ensemble.Le seul "défaut" que l'on pourrait trouver au film est sans conteste son interprétation, les acteurs étant assez plats dans l'ensemble. Il est vrai que que le cinéaste transalpin n'a jamais été passionné par la direction d'acteur.
Mais derrière le film de genre se cache une vraie réflexion philosophique sur la réalité, la perception, la mémoire l'interprétation. Nous ne pouvons, et ne devons, pas faire confiance à nos sens, à nos mémoires qui nous trompent souvent, nous dit Argento ... On a souvent tort de réduire le cinéaste a un pur formaliste influencé par la psychanalyse de comptoir. Longtemps ignoré par la critique parisienne à cause des genres qu'il affectionnait, Argento est un grand, à placer dans la même catégorie qu'Antonioni et Leone. Snobs, s'abstenir. Je vous incite à écouter ou à lire les analyses de Jean-Baptiste Thoret sur la question.
Au final, L'Oiseau au plumage de cristal s'inscrit comme un premier film brillant, qui s'il n'atteint pas les sommets à venir (Profondo Rosso, notamment) est une magnifique entrée dans le monde angoissant et passionnant de Dario Argento. Un joyau qui illustre parfaitement le diction "Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître."
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