Comme de nombreux de ses films, Argento commence par une scène d'introduction des plus immersive pour le spectateur. On suit Sam Dalmas, à cet instant du film un simple passant, qui est témoin d'une lutte entre une femme et un homme portant un chapeau noir, un pardessus et des gants, un couteau brillant étant tenu par les deux. Le héros sous une impulsion pénètre dans l'entrée de la galerie d'art, désirant sauver la femme, mais l'homme l'enferme entre les deux portes vitrées. Dès lors le héros est un témoin impuissant de l'agonie de la femme le suppliant de l'aider, se traînant au sol, la main et le visage ensanglanté. La puissance de cette scène d'introduction réside à la fois dans le découpage qui permet à la fois de tout voir et de ne rien voir de la scène, et des gros plans sur le visage et les yeux du héros et de la victime. L'agonie de cette dernière se juxtapose au regard horrifié du héros qui est dans l'incapacité de l'aider. La puissance de cette scène va devenir le fil rouge de tout le film, car le spectateur comme le héros sent que quelque chose cloche dans ce que le réalisateur lui a montré, mais qui est néanmoins établit comme la seule vérité. Dès lors Sam interrogé par la police cherche à comprendre ce qu'il a réellement vu, et le spectateur adhère a sa recherche. L'idée de génie d'Argento est d'offrir au spectateur exactement le même point de vue que celui de Sam, les souvenirs de la scène reviendrons encore et encore à l'image, donnant au spectateur l'occasion de participer aux recherches. C'est là tout l'art d'un maître du thriller, à l'instar d'Hitchcock, il offre au spectateur d'être témoin des agissements du tueur pour le quatrième meurtre, et cependant suit le héros dans son cheminement de pensées. L'enquête menée est à la fois tenue par le héros mais aussi le spectateur placé par Argento exactement dans la même situation que Sam, c'est à dire témoin dans l'incapacité d'agir, mais ayant dans la main tous les éléments pour comprendre ce qui cloche dans la scène qu'il a aperçut.

Dessinant dans cette première oeuvre les codes de ses obsessions et de sa mise en scène, Argento signe là un film brillant qui dès les premiers instants dévoile ses inspirations (Six femmes pour l'Assassin de Mario Bava) mais aussi les éléments qui seront présents dans chacun de ses films ou presque : l'assassin sans visage, le couteau dont l'éclat ébloui le héros (la scène où Julia est acculée par l'assassin ressemble à s'y méprendre à la scène de Suspiria où Suzy est éblouie dans le couloir), la présence d'animaux (ici c'est l'oiseau offrant le titre au film, les chats), mais aussi et surtout une mise en scène où l'esthétisme à la fois de l'image et du son plonge le spectateur dans un état à la limite de la transe, laissant l'émotion et les sens prendre le dessus sur la raison. C'est aussi le choix de scènes brillantes, celle d'introduction du film, mais aussi la séquence où Julia est acculée dans l'appartement avec le tueur à sa porte, ou encore la scène où Sam découvre le corps de son ami sans voir Julia attachée sous le lit. Plus que de révéler des indices par des images simples qui annulerait tout suspence, Argento choisit de placer le spectateur exactement à la même place que son héros, ne lui délivrant des incides que morceau par morceau. Là encore tout repose sur l'intuition plus que la raison, évitant les longs interrogatoires, les seuls indices offerts sont un son étrange au téléphone lorsque l'assassin appel, un tableau étrange mettant en scène l'agression d'une femme, et les souvenirs de la première scène revenant encore et encore. Le spectateur est dès lors plongé avec le héros dans l'enquête, et c'est cette sensation d'interactivité qui place L'oiseau au plumage de Cristal dans la cour des grands.

L'esthétisme de l'image est l'un des signes du génie de Argento qui plutôt que s'attacher aux paroles, préfère plonger le spectateur dans une ambiance particulière grâce à l'image mais aussi et surtout au son. Moricone signe la bande musicale de ce film en choisissant une musique dissonante, qui accentue cette sensation d'être perdu, d'être à la fois plongé dedans et en même temps incapable d'agir. On reconnait dès ce premier film l'attachement à l'esthétisme architectural d'Argento, notamment dans la scène où une jeune femme rentre chez elle, offrant un plan très seventies où des triangles s'incorporent les uns dans les autres. Les couleurs froides apportent beaucoup à l'atmosphère du film, que ce soit dans la galerie d'art dont les couleurs s'accordent au plumage de l'oiseau ainsi qu'aux couleurs du tableau que dans la scène où Julia est enfermée chez elle alors que l'assassin tente de rentrer chez elle. Ces couleurs froides, presque métalliques, mettent en valeur le visage de ces deux femmes subissant l'angoisse et la terreur, et l'ont les retrouve bien sûr dans chaque flashback sur la scène d'introduction, comme si Argento voulait mettre en parallèle la terreur de ces deux femmes, là encore c'est un indice, parce qu'il dévoile celle qui ne ressent pas la terreur de mourir, celle dont l'image est fausse, contrairement à celle qui a réellement peur. Enfin soulignons que l'utilisation du noir et blanc que ce soit pour les photos des précédents meurtres ou celle du tableau, noir et blanc très beau, est également un indice, un indice de plus qui nous perd plus qu'il ne dévoile. C'est ainsi durant tout le film, Argento ne cesse d'offrir des indices au spectateur, mais au fur et à mesure que nous avons une vue de l'ensemble, plus nous nous sentons perdu, jusqu'à la résolution finale, où le spectateur comprend après la mort du principal suspect. (élément qu'on retrouvera dans Ténèbres où là encore Argento joue avec l'idée de deux tueurs).

Si la figure et le style de Bava est très présent dans ce premier film par l'esthétisme choisit par Argento, on retrouve aussi la présence du maestro Hichtcock. Pas seulement dans le choix d'une scène d'introduction à la fois très révélatrice et en même temps plongeant le spectateur dans l'interrogation et le doute, mais aussi dans les scènes de mise à mort. Les plans du point de vue de l'assassin brandissant la lame de rasoir, avec les contre plans de la victime se protégeant de ses mains, et les blessures sanguinolentes apparaissant au fur et à mesure n'est pas sans rappeler la scène de la douche de Psychose. A aucun moment on ne voit la lame découper la chair comme ça sera le cas dans les films suivant de Argento, ici il joue avec le spectateur comme la caméra, à l'instar du maître qui l'inspire. Les thèmes lié à Hitchcock sont nombreux dans l'Oiseau au Plumage de Cristal, le témoin impuissant rappelant Fenêtre sur cour, l'utilisation de mouvement de caméra et du découpage pour faire ressentir les mêmes émotions au spectateur que celles ressenties par le héros (Vertigo), le doute s'insinuant sur ce dont on a été témoin, là encore Vertigo. Il semble bien que Argento dans ce premier film dessine les traits et contours de ce qu'il deviendra les traits caractéristiques de sa mise en scène, tout en s'affranchissant de ses maîtres en leur rendant en même temps hommage.
Sophia
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le 31 janv. 2012

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