« Du côté sombre du réalisateur Paul Feig ». La formule agit comme une mystérieuse promesse, sa bande annonce comme une élégante illumination de nos cœurs (de pirate), pareille à « une ligne des aimées qui détruisent ton langage ». L’espoir intrigue autant qu’il inquiète. Car d’ombres, il en sera question dans cette œuvre multipliant les genres comme autant de tenues épousant le corps de ses actrices. Mais chez Paul Feig, la noirceur se flingue, et les lourdeurs ne se crient pas tout bas.
Pourtant, tout commence sur des accents ambigus, côtoyant le Passion de De Palma, tant dans les rapports de force que dans cette mystérieuse sensualité qui semble émaner des actrices. Un trouble des genres où le comique réside dans le polar, et le second degré dans son premier. Comme pour décortiquer les apparences, derrière les costumes Tom Ford et les tutos de bonne maman : une œuvre singeant la « perfection » du modèle de la ménagère américaine et des intrigues Desperate Housewives qui y sont liées. Puisque tout n’est que manipulation, sentiments refoulés, et illusion émotionnelle, à première vue. Jouant sur les oppositions et les impressions, de conformisme notamment, Paul Feig tente de constituer son Charade, et d’élever son film vers des sphères hitchcockiennes.
Cependant, le trouble ne prend pas. Les pistes s’élaborent dans la facilité, entre absurde du secret et rebondissements définissables. Plus proche de Pretty Little Liars, et de sa génération Snapchat, que des pulsions De Palmesques en somme. Car L’ombre d’Emily est une œuvre qui ne sait jamais sur quel genre se reposer, emplie de doutes et d’imperfections narratives. Sans compter sur cette fâcheuse tendance à « French-iser » pour brouiller davantage les genres par l’élégance : A Simple Favor épuise tous les standards musicaux français, à rayonnement International, de Dutronc à Gainsbourg, de la jolie Bardot à Orelsan. Inattendu, indéniablement. Mais Maurice Chevalier n’est plus, et les Ariane non plus. Les Diaboliques aussi ne sont jamais loin : au détour d’un dialogue, la citation ne garde malheureusement qu’un statut décoratif, tant la perversion de l’œuvre de Clouzot semble s’être diluée dans ce cocktail adolescent sans alcool ni poison.
Et à cette obscurité mal proportionnée, Feig s’amuse quand même à détourner le sérieux de l’incroyable Gone Girl en un objet récréatif, pauvre et tordu qu’à moitié : lac cadavérique et couple décomposé ? Oui, mais non. Un fiasco principalement causé par la mise en scène plate, fade et insipide de Paul Feig, qui n’a pas su adapter sa réalisation « comique » à l’ambition ténébreuse de son œuvre. Heureusement, le charme des comédiennes permet au film d’accéder au rang de divertissement : Anna Kendrick joue à son propre jeu (quitte à en faire trop), et Blake Lively se contente d’être agaçante de beauté et de magnétisme. Une simple faveur ? Pouvoir les admirer.
Semblable à un téléfilm de fin d’après-midi sur M6, L’Ombre d’Emily adopte une démarche purement décorative, sans perversion ni inventivité narrative. Hybride, peut-être, mais rien n’étonne ni ne passionne. Les genres s'embrouillent, les twists se font prévisibles et l'artifice ne prend jamais. Sympathique seulement par intermittence, L’Ombre d’Emily accumule maladresses, ridicule, cabotinage, et platitude. Beaucoup d’ombres au tableau, mais pas celle d’Emily.
Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles
Ça te jouera un mauvais tour
Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles
Tu le paieras un de ces jours
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