Il y a d’abord le titre, énigmatique et somptueux, dont on ignore s’il convient de mettre en avant sa part obscure ou mystérieuse (l’ombre) ou celle essentiellement et intrinsèquement féminine (les femmes) que le réalisateur culte de J’entends plus la guitare semble mieux connaitre que quiconque. Son dernier opus, à la fois bref et incandescent, appartient sans conteste à la veine majoritaire du cinéaste, identifiable par le filmage en noir et blanc (le travail époustouflant du directeur de la photographie Renato Berta, renversant de beauté dans la déclinaison d’une palette subtilement contrastée de gris, de blancs et de noirs) et le sujet universel et éternel : l’amour, les trahisons et les tourments sans lesquels il n’y aurait pas d’histoire.


Cependant ancré dans une certaine idée du réel, ébauché sans insistance, mais à l’inverse avec élégance et distance – celui du quotidien du couple formé par Pierre et Manon, deux précaires vivant de petits boulots pour pouvoir mener à bien leur projet de réaliser des documentaires, lui comme metteur en scène, elle comme monteuse, deux pauvres modernes campant dans un appartement décrépit et rudimentaire – L’Ombre des femmes touche d’évidence à l’universalité et à l’intemporalité. Le noir et blanc bien sûr, mais aussi l’absence de signes tangibles d’appartenance à une époque (exit portables et ordinateurs) comme l’écriture littéraire des dialogues et de la voix off, assurée par quatre scénaristes, participent largement à cette impression.


L’épure qui confine ici à l’ascèse et à une représentation pleinement assumée de l’essentialisation amène le film vers les sommets. Philippe Garrel dissèque comme personne ce qu’est la douleur d’aimer, la nécessité viscérale de l’autre en dépit des actes de déloyauté et d’infidélité. Néanmoins, cette entreprise de dissection n’aspire pas ici au délayage et à la complication dilatoire : au contraire, réduite au strict nécessaire, contrainte de gré ou de force à l’économie de moyens, elle en est d’autant plus remarquable et va droit au cœur du spectateur – sans doute, plus encore de la spectatrice. Il s’agit bel et bien d’un bijou précieux et fragile dont on souhaite que de nombreux yeux le façonnent et le polissent, c’est le moins que mérite ce diamant brut et prompt à scintiller dans le cœur et l’âme de ceux qui voudront bien l’observer.

PatrickBraganti
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le 1 juin 2015

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