Je n'ai aucune haine particulière envers L'ombre des femmes, comme ma note peu sévère peut en attester, mais je n'arrive pas à comprendre comment un film comme ça peut être ainsi encensé par la presse. Comment expliquer que Positif fasse sa couverture avec ce film ?! Comment se peut-il que Les Cahiers du cinéma, Télérama, Libération et le Monde considèrent tous ce film comme un chef-d’œuvre ? Cela me semble représenter une bonne preuve, qu'aujourd'hui, aucun des grands périodiques consacrés au cinéma n'est crédible ou représentatif de ce que pense la majorité des cinéphiles - il n'y a qu'à voir la note générale sur les sites de notation en ligne, qui sans être catastrophique, n'est en rien extraordinaire. Cela représente un soupçon de plus (ou devrais-je dire une preuve de plus ?), du copinage (ou devrais-je dire de la corruption émotionnelle ?) qui gangrène la presse française. Cela représente enfin le manque de voix divergentes dans la presse française.
En effet, bien que le film ne soit pas désagréable, il faut bien dire qu'on s'ennuyote un peu quand même. De ce point de vue on peut se réjouir que le film ait la modestie de ne durer que 1h10.


Parlons de l'image pour commencer. Qualifié de « somptueux » ou « magnifique » par divers journaux, le noir et blanc n'est en réalité qu'élégant (ce qui n'est déjà pas si mal). Son usage semble plutôt judicieux car on a du mal à imaginer ce qu'aurait donné ce film en couleur. Mais pitié, qu'on ne vienne pas me dire que c'est un noir et blanc « somptueux » ! Le Silence de Bergman, Rashomon de Kurosawa ou Andrei Roublev d'Andrei Tarkovski, ça ce sont des noir et blanc « somptueux ». Ce n'est pas le cas de L'ombre des femmes. C'est une insulte faite au cinéma que de galvauder ainsi les termes « somptueux » ou « magnifique ».
Les images en elles-mêmes sont elles aussi élégantes mais assez peu marquantes. Cela est d'autant plus dommageable que le film est essentiellement composé de plans longs et peu virtuoses (pas de prouesse technique, peu de mouvement ample). Nous avons donc tout le loisir de juger de la qualité de trop rarement réellement belles images. Ce choix a une conséquence logique, le peu d'utilisation du montage, qui aurait pourtant pu apporter un plus au film, au niveau de la forme.


Parlons maintenant de ce que nous « raconte » le film. Tout en adoptant un ton assez juste, le scénario manque de caractère. Cela se remarque d'autant plus que les thèmes abordés ont déjà été traités par d'autres immenses cinéastes qui en ont fait d'immenses chefs-d’œuvre.
Plus qu'au niveau de l'évolution de ses personnages et de son histoire, c'est au niveau des dialogues et surtout de la voix off que le film pêche. Les dialogues sont en effet extrêmement stéréotypés et donnent l'impression d'avoir été entendus mille fois. Ils paraissent même parfois franchement ridicules ou beaucoup trop littéraires (cassant de ce fait le réalisme). Ainsi quand Pierre demande à Manon comment elle a appris qu'il avait une liaison, elle lui répond « C'est toi qui me l'as dit par tes façons (silence) de me parler, (silence) de te coucher près de moi, (silence) de me regarder ». On comprend très vite que l'on a déjà entendu cela mille fois dans des films, mais en plus les silences font clairement sentir que la phrase est irréaliste. Qui dirait « tu me l'as dit par tes façons » par exemple ? Ce n'est qu'un exemple, sans doute pas le plus net d'ailleurs, pioché au hasard dans le film. On pourrait citer, dans le genre gros cliché d'une affligeante banalité des répliques telles que « Je suis complètement perdu sans toi » ou encore « Je n'arrive pas à concevoir la vie sans toi ». Mais ce qui frappe particulièrement c'est la médiocrité de cette voix off affectée qui débite des phrases qu'on pourrait croire tirées d'un mauvais roman de gare à l'eau de rose. Lourdes, elles pourraient s'apparenter à de la « psychologie de comptoir ». En plus de cela, elles desservent le récit, en anticipant les réactions des personnages, ne laissant plus au spectateur ni le plaisir de la surprise, ni celui de comprendre par lui-même les enjeux psychologiques. Cette voix off est aussi une facilité car elle permet de ne pas avoir à faire ressentir ce qui est décrit par la mise-en-scène, le montage, le scénario ou le jeu d'acteur.


Attention : quelques spoils dans cette partie.
L'histoire en elle-même est à la fois intéressante et malgré tout stéréotypée sur plusieurs aspects. Déjà premier problème : l'écriture des personnages. Ceux-ci sont assez peu intéressants et cliché. Combien de fois n'a-t-on pas vu de mari égocentrique, plein de mauvaise foi et légèrement macho ? Combien de fois n'a-t-on pas vu dans le cinéma d'auteur des personnages masculins flegmatiques peu enclins à laisser paraître leurs sentiments ? Combien de fois n'a-t-on pas vu à l'écran de femmes délaissées, prenant un amant sans vraiment savoir pourquoi et sans l'aimer puis regrettant par la suite cet écart ?
Ces éléments scénaristiques sont particulièrement présents dans la première partie du film qui - à l'image de son personnage principal - semble bien morose. En revanche la dernière demi-heure est plus réussie. En effet après la révélation de la tromperie de Manon, le film devient plus dynamique et plus cruel. Les enjeux dramatiques semblent plus importants et l'on comprend mieux la psychologie des deux personnages en pleine crise de couple. Leur réunion à la fin du film parvient à ne pas paraître irréaliste : elle demeure crédible et s'inscrit dans la logique du récit.
Une idée semble porter le film : la transparence et la communication sont essentielles pour permettre au couple de résister à l'épreuve du temps. Cacher ses sentiments profonds conduit à commettre des fautes irréparables et à détruire progressivement son couple. C'est ce que comprend Pierre à la fin du film, lorsque Manon lui apprend que l'homme qu'il avait pris pour sujet de son film et pour figure paternelle de substitution n'était en réalité qu'un imposteur, un faux résistant. Devoir mentir est un poids trop lourd à supporter (un poids qui peut conduire littéralement au cimetière) et plutôt que d'enterrer son mariage, Pierre décide de quitter la cérémonie afin d'avouer sa souffrance à Manon. C'est cet aveu qui rend possible le happy-end final. Le poison du mensonge et de « l'incommunication » s'était en effet immiscé dans le couple, rendant inévitable leur séparation. C'était tout d'abord Pierre incapable de se disputer avec Manon, celle-ci contrainte - selon ses propres mots - de « gueuler pour deux ». C'était ensuite Pierre, incapable d'avouer sa faute. Puis c'était Manon qui plongeait elle-même une première fois dans le mensonge en revenant de chez son amant. Ce thème est donc une ligne directrice bien menée par le film. C'est selon moi ce qui il y a de plus réussi dans L'ombre des femmes.


Les acteurs sont bons, sans être transcendants. Ils possèdent quelques défauts provenant souvent de l'écriture des personnages qui - comme dit plus haut- est trop peu intéressante et bien trop stéréotypée. Clotilde Courau, par exemple, perd beaucoup en justesse de jeu quand elle doit parler en pleurant. Elle a tendance alors à surdécouper ses répliques, révélant leur artificialité. Ils ont tous les deux un petit côté théâtreux qui n'est que peu gênant. Étrangement ce sont finalement les acteurs secondaires qui m'ont le plus marqué. Léna Paugam, qui tient ici son premier rôle au cinéma, joue parfaitement sa partie. Il sera intéressant de voir si elle peut évoluer aussi brillamment dans d'autres registres. Mais c'est surtout Vimala Pons qui, en apparaissant pourtant que quelques minutes, a su capter mon attention. Quel naturel !


Enfin le film a un défaut, à mes yeux, rédhibitoire : il est démodé. Oui, ce film est vieillot. Il n'est en rien moderne. Il subit en effet complètement l'influence de la Nouvelle Vague. On pourrait même croire qu'il vient tout droit des années 60. Il aborde les mêmes thèmes, de la même façon mais avec beaucoup moins de brio que les auteurs de cette époque. Il possède en plus un côté parigot insupportable. Je ne comprends pas comment on peut faire cette simple constatation et pourtant dire que ce film est « formidable ». La Nouvelle Vague apparaît dans les années 60, c'est à dire il y a plus de 50 ans ! Plus de 50 ans ! Et on devrait trouver formidable qu'un film de 2015 ressemble à un film des années 60 ? On devrait trouver formidable que le cinéma français n'ait toujours pas su se défaire de ce modèle ? On devrait trouver formidable qu'un cinéaste français, en 2015, renonce absolument à être moderne, pour refaire ce qu'on fait depuis plus de 50 ans ? Eh bien non ! Je suis désolé, c'est lamentable et affligeant. Il ne s'agit pas d'un cas isolé, mais d'un cas représentatif d'une grande partie de la production auteuriste française, coincée entre les modèles de la nouvelle vague et de Pialat ; modèles qu'elle n'arrive jamais à égaler.

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le 24 avr. 2016

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hotgavial

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