Besson est un gamin. Cela ne serait pas problématique s'il se contentait de réaliser des films pour enfants – Arthur et les minimoys par exemple – mais malheureusement Besson a de l'ambition et cela donne des catastrophes comme Lucy ou justement Valerian. Il cherche à traiter de grands sujets mais il le fait avec tellement de lourdeur qu'il sabote complètement ses films. On a l'impression de voir un enfant de 10 ans qui s'essayerait à la philosophie.
Le film « développe » des idées extrêmement simplistes à partir de problèmes en réalité complexes. Voilà justement le défaut principal du film, Besson ne s’embarrasse pas de poser le problème, d’exposer le dilemme, avant de donner la réponse qu'il considère comme la plus appropriée. Non, il nous impose par toute sorte de stratagèmes son point de vue sur la question.
Peut-on sacrifier une ou plusieurs vies humaines – ou, dans le cas présent, extraterrestres – pour permettre le bien du plus grand nombre ? Doit-on absolument dire une vérité qui pourrait une fois exposée provoquer des conséquences néfastes ? Ce sont deux problèmes intéressants, complexes qui ne peuvent donner lieu à des réponses évidentes et qui demandent à être analysés. Malheureusement Besson part avec un a priori sur le sujet. Il a déjà sa réponse avant même de connaître le problème. Par conséquent au lieu de creuser ce problème, il va au contraire le simplifier au maximum à l'aide d'outils très efficaces : la caricature et le pathos. Qui pourrait en regardant ce film être d'accord avec ce général, véritable caricature de méchant ? Besson a bien pris soin de nous présenter un peuple idéal composé d'êtres sans défauts, pacifiques, heureux, généreux, prêts à tout pardonner. Leur extermination devait être par conséquent, dans l'esprit de Besson, d'autant plus intolérable. Cette façon d'idéaliser ce peuple est pourtant absolument contre-productive car au lieu d'appuyer l'idée selon laquelle toute vie est importante, cela semble signifier que le scandale de cette extermination réside uniquement dans le caractère idéal de ces êtres – alors qu'en réalité c'est le principe même de l'extermination d'un peuple qui est scandaleux. Si ce peuple avait été plutôt désagréable, cela n'aurait pas rendu cette extermination moins intolérable. Ainsi, soit Besson développe une idée scandaleuse, soit il expose mal son idée en cherchant à tout prix à l'imposer. Par ailleurs on peut s’interroger également sur la portée idéologique de sa manière de représenter de façon aussi uniformisée un peuple tout entier car c'est cette façon de décrire un peuple tout entier à partir d'une ou deux caractéristiques qui est à la base de nombreux clichés racistes. Tous les hommes ne sont pas semblables – il y en a des bons et des mauvais – alors pourquoi ne serait-ce pas le cas d'un peuple extraterrestre ? On est vraiment ici en plein mythe du « bon sauvage ». Maintenant que nous avons bien saisi pourquoi ce sacrifice d'un peuple est scandaleux, nous devrions normalement pouvoir comprendre pourquoi le général a agi comme il l'a fait, où était l’enjeu. Si Besson avait compris cela, il aurait alors véritablement traité son sujet. Mais non : Besson se contente de faire dire au général – cadré comme un super méchant – sans la moindre once de compassion, de réflexion ou de sentiment qu'il « s'en balek » de ce peuple de sauvages, puis un peu plus tard de le faire se justifier en une phrase sur un ton agressif face à ses victimes et aux regards réprobateurs des deux héros. On ne saura jamais ce que risquait le général s'il n'avait pas donné cet ordre : peut-être l'extermination de plusieurs dizaines d'autres peuples par exemple... Premier problème éludé donc par Besson à l'aide du cliché des « supers pacifistes gentils » face au « grand méchant belliqueux ».
Passons maintenant à la seconde problématique. Déjà nous pourrions noter qu'elle aurait pu porter elle-même en creux l'idée du devoir de mémoire, mais que celle-ci est évidemment laissée de côté par Besson. En effet le massacre n'est pas commis par un Etat, suite par exemple à une décision politique, mais par un seul homme – le grand méchant général. Encore une fois, Besson simplifie les choses plutôt que de permettre aux spectateurs de s'interroger. Mais revenons à la question principale : l'importance de dire la vérité quelles que soient les conséquences. Nous reconnaîtrons que Besson prend cette fois le temps de laisser au général – mis en position de faiblesse néanmoins – d'expliquer en une petite phrase le problème : « si le massacre était découvert, la terre perdrait sa position de force et reculerait de plusieurs centaines d'années d'un point de vue technologique ». Mais Besson s'empresse de désamorcer ce début de réflexion. Tout d'abord, il est possible de se demander pourquoi l'acte d'un général terrien condamnerait l'ensemble des humains à être expulsé du système. Ensuite on nous explique directement que les « bons sauvages » n'ont aucune intention d'exercer des représailles, ni même de dénoncer ces actes ; ce qui rend évidemment caducs les scrupules du général. D'ailleurs, ce dernier finit par avouer non seulement que c'est avant tout pour ne pas salir son honneur, donc par pur égoïsme, qu'il cherche à cacher ce fait historique mais qu'il est prêt à tuer tout le monde afin que le secret ne soit jamais révélé. Voilà donc comment Besson détruit lui-même les problématiques de son film et donc son intérêt.
En effet que reste-il une fois ces problématiques évacuées ? Un divertissement puéril écrit par un réalisateur incapable d'atteindre ces modèles.
Besson, comme je l'ai écrit au début de cette critique, est un gamin et cela se constate immédiatement dans ses représentations. Prenons tout simplement la représentation de la planète du début du film pour nous en rendre compte : une plage au sable tout blanc, une mer à l'eau bleue cristalline, un ciel tout bleu, un peuple en pagne qui cultive des perles et des animaux tout mignons. Voilà l'imagination de Besson ! De même l'écriture de la quasi intégralité des créatures ou des personnages est caractéristique d'un manque total d'imagination ou de maturité : la prostituée au grand cœur, le méchant général, les bons sauvages, les créatures anthropophages – qui sont un peu plus amusantes néanmoins.
On sent évidemment l'influence de Star Wars mais c'est un modèle que Besson n'a absolument pas su digérer. Le côté fouillis et varié des décors de Star Wars ou Total Recall, dans lesquels on retrouvait des visions de bar ou de bordel assez « sales » sont ici reprises mais en beaucoup trop « propres », avec un surplus d'effets spéciaux numériques assez laids. La mise en scène est également d'une extrême platitude et ne diffère en rien de celle des blockbusters actuels. Même lorsqu'il s'essaye au plan-séquence, Besson parvient à rendre la technique plate et sans originalité ; cette façon de traverser les murs est extrêmement attendue et déjà vue.
Lorsque Besson tient une idée de scène intéressante, il parvient à la gâcher soit en ne prenant pas le temps de bien poser son univers, soit en ne tenant pas son principe de mise-en-scène jusqu'au bout, soit encore en cassant l'harmonie ou la dynamique de la séquence par des plaisanteries affligeantes. Prenons trois exemples pour illustrer ces différents problèmes avec les trois séquences les plus intéressantes :
- La séquence d'ouverture : Besson a la bonne idée d'utiliser une chanson de qualité – Space Oddity de David Bowie – et de mettre en place un principe de mise-en-scène pertinent afin d'évoquer le temps qui passe et la découverte des différentes civilisations. Mais il se sent obligé de l’alourdir par des effets comiques infantiles – main tendue non serrée, main gluante... – alors qu'il tenait là une jolie scène.
- La séquence de course-poursuite se déroulant en même temps dans deux univers différents. Voilà une scène avec un potentiel formidable ! Mais quel gâchis ! Tout d'abord le fonctionnement et les règles de cet univers ne sont absolument pas clairs dès le départ, ce qui nuit tout au long de la scène à la compréhension de celle-ci – par exemple quand Valerian tombe de plusieurs étages dans le second univers, il tombe également de plusieurs étages dans l'autre parce qu'il est sous une trappe ; que se serait-il passé si cela n'avait pas été le cas ? Mais le véritable problème de cette séquence c'est qu'elle manque d'une idée de mise-en-scène directrice. On a l'impression que Besson ne sait pas ce qu'il veut filmer, ce qui rend la scène confuse et sans intérêt. Non content de filmer n’importe comment la scène, Besson casse lui-même la dynamique de la séquence en l'arrêtant brutalement pour s'offrir une scène comique ridicule avec une créature extraterrestre lanceuse de purée et parfaitement puérile.
- La scène de danse de Rihanna. Besson se sent obligé de nous montrer des contre-champs en permanence sur les réactions de Valérian alors que l'intérêt et la magie de la scène tiennent uniquement au spectacle.
D'autres défauts affaiblissent le film. Besson a mal – ou trop bien – intégré la leçon du cinéma hollywoodien concernant les couples de personnages masculin/féminin dans les films d'action – tension sexuelle à base de joutes vocales. En effet, les dialogues entre Valerian et Laureline semblent être écrits comme ceux d'une sitcom américaine de bas étage ; on s'attendrait presque à entendre un roulement de tambour après chacune des répliques balancées par des acteurs très mal dirigés – les mimiques ignobles des deux comédiens pour signifier l'exaspération suffisent à s'en convaincre. On peut rajouter à tous ces défauts des punchlines moisies qui finissent d'enterrer le film dans sa médiocrité.
Il y avait du potentiel un peu partout dans cet univers mais Besson a saboté son film par des enfantillages et un manque évident de talent.