J’aime beaucoup la troupe du Splendid, son évolution, ses acteurs aux filmographies si diverses, si riches pour certains, si audacieuses pour d’autres. C’est un gang sympathique, dont la créativité et la joie naissante a laissé de bien grandes comédies françaises.


Parmi eux, Christian Clavier est sans doute l’un des membres dont le parcours a été et reste le plus décrié. Pourtant, il est sans doute également un des plus doués en même temps que des plus variés. Et, me semble-t-il, le déchaînement de critiques acerbes à son encontre, a commencé véritablement avec ce film, bien que ce soit sur La soif de l’or et Les anges gardiens qu’elles se sont faites les plus virulentes. Les questions qui m’intéressent aujourd’hui alors que je revois ce film est de savoir ce que valent le film, la prestation de Christian Clavier, sa collaboration avec Jean Reno et également la propre évolution de la mise en scène de Jean-Marie Poiré déjà assez évidente sur ce film, alors que le succès des Visiteurs est encore à venir. Est-ce qu’avec le recul on peut considérer un film et ses créateurs pour ce qu’ils offrent à l’écran, ce qu’ils produisent, indépendamment des guéguerres propres au cinéma français entre l’élitisme intellectuel et le divertissement populaire, puisque le reproche essentiel fait à Clavier reste celui d’avoir surfé sur le succès et d’avoir usé jusqu’à la corde de recettes qui ont marché?


Je comprends que l’on puisse tiquer devant les gesticulations hystériques trop souvent utilisées par l’acteur, mais aussi pour ce film en particulier devant le scénario un peu déséquilibré, de même que devant le montage d’ores et déjà trop serré qui fait la marque de fabrique du cinéma de Jean-Marie Poiré.


Toutefois, il serait un peu trop hâtif de notre part, et même injuste, ne pas souligner la complicité naissante et déjà réjouissante qui se développe entre Christian Clavier et Jean Reno par exemple, un des points forts du film si l’on veut bien y porter un regard serein.


Il convient aussi de ne pas oublier que le scénario, aussi inconstant soit-il, recèle quelques très bons moments de comédie pure, grâce à des dialogues bien sentis et des comédiens parfois excellents. Les reproches qui me paraissent justifiés sur Les anges gardiens ou La soif de l’or me semblent ici prématurés. Le montage est notamment, certes très rapide, mais encore tout à fait lisible. Tout le long du film, il sait aménager les temps un peu plus calmes, autant de temps de respiration pour mieux mettre en valeur les scènes d’action ou de comédie. La dynamique au cœur du film est pleine d’allant, de vivacité. Le début et la fin sont un peu plus ronronnants et offrent un contraste un peu trop saisissant ; c’est là qu’une certaine forme de déséquilibre altère la cohérence de l’ensemble et donc la fluidité générale de la narration. De fait, on a du mal à voir dans L’opération Corned Beef un film bien construit.


La prestation de Christian Clavier n’est pas mauvaise, même si elle peut laisser certains sur leur faim. A peu de choses près, son personnage fait penser à celui qu’il tient dans Papy fait de la résistance, celui d’un bourgeois arriviste, dont le statut social ne tient qu’à un fil, celui de son épouse fortunée. Clavier n’a pas fait basculer son jeu dans l’hystérie la plus complète, celle qu’il manifestera plus tard. Par bribes pourtant, elle peut apparaître ici ou là, en germe si l’on peut dire, mais si l’on y regarde de près, elle a toujours été plus ou moins constitutive de son jeu, chez tous ses personnages. Et quand il la gère parfaitement, avec mesure, il en est le roi incontesté. Il n’a pas le génie d’un Louis de Funès, loin s’en faut, mais il fait partie des comédiens français qui peuvent s’y risquer et parfois en créditer à bon escient ses personnages et le comique qui en résulte. Je dirais même qu’elle fait la quintessence de son jeu, construit sur le déni, et l’explosion comique de la vérité à un certain moment. Dans Papy fait de la résistance, dans Les bronzés, dans Le père Noel est une ordure, il est déjà magistral sur ce point là. Dans Les Visiteurs, il fait évoluer son jeu de façon diamétralement opposée (une sorte de parenthèse).


Dans L’opération Corned Beef, il fait encore preuve de justesse et de précision. Le petit bémol vient plutôt à vrai dire du scénario car son personnage est assez imbécile, ou du moins d’une grande naïveté. Un peu lent à la détente pour comprendre ce qui se déroule pourtant sous ses yeux, il apparaît un peu nigaud et finalement peu sympathique.


Face à lui, Jean Reno joue les gros bras jaloux, la masse de muscles pas plus futé que son compère, feignant de contrôler mais qui en réalité perd les pédales facilement. Pas non plus très sympathique, son personnage fonctionne pourtant à merveille en combinaison avec celui de Clavier.


Si individuellement, les deux personnages offrent peu de prises sur lesquelles le public peut s’accrocher, leur association de losers, leur interaction est d’une belle richesse comique et fait en fin de compte tout le sel du film. Il y a déjà là un avant-goût du duo des Visiteurs qui me plait beaucoup. Je crois bien que c’est ce pour quoi je revois ce film avec un certain plaisir malgré ses défauts, cette évidente complicité entre les deux acteurs.


Il y a tout de même quelques petits plus à mettre au crédit de ce film : des rôles secondaires superbement tenus! Je pense ici d’abord à Valérie Lemercier et Jacques François, peut-être Jacques Sereys. Je serais moins disert sur Isabelle Renauld ou Mireille Rufel cependant.


Valérie Lemercier n’a finalement qu’un tout petit rôle, trop réduit selon moi, mais cette aptitude incroyable à éclairer son personnage d’une lumière comique ultra puissante est ici, comme toujours avec cette grande comédienne, d’une efficacité autant que d’une inventivité scénique remarquables, qui me surprennent à chaque fois. Jacques François dont le jeu rigide est toujours succulent livre comme d’habitude une performance redoutable : très collé-monté, ses pics de colère font mouche.


Même s’il souffre de quelques déséquilibres, L’opération Corned Beef reste une comédie que je peux voir avec plaisir, pour deux ou trois scènes, deux ou trois comédiens.


Captures et trombi

Alligator
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le 31 août 2018

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Alligator

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