Charlie a 19 ans lorsqu’il se rend pour la première fois à Paris dans le cadre d’une tournée de la troupe Karno dont il fait partie. La troupe se produit aux Folies Bergères pendant un mois. Charlie Chaplin est ébloui. Il s’inspira de ce Paris mondain lorsqu’il réalisa A Woman of Paris mettant en scène Marie, une jeune fille provinciale devenue la maîtresse d’un riche parisien. Ce fut le premier film qu’il réalisa après avoir quitté la First National pour travailler à son compte au sein de la United Artist, studio dont il était co-fondateur. Ce premier film a été écrit pour mettre en valeur Edna Pruviance, sa grande complice qui a ici le rôle principal. Charlie Chaplin ne joue pas se contentant d’être le scénariste et le réalisateur.
Cette réalisation détonne dans sa filmographie par son caractère exclusivement dramatique. Exit le burlesque ! Chaplin avait pour but de montrer, que les films muets avaient la capacité de faire passer avec subtilité de la psychologie.
Certains critiques affirmaient que la psychologie ne pouvait s’exprimer dans un film muet, que des gestes évidents, comme, par exemple, les héros coinçant de belles dames sur des troncs d’arbres et leur soufflant avec ferveur jusque dans les amygdales, ou bien des chaises qu’on se lançait à la figure dans les scènes de bagarre, étaient les seuls moyens d’expression. L’Opinion publique était donc à mes yeux un défi. J’avais l’intention de rendre la psychologie sensible par des jeux de scène subtils. (autobiographie de Chaplin).
Ce qu’il fait par exemple dans cette scène où « l’amie » de Marie lui passe le journal dans lequel est annoncé le mariage de son amant. Marie repose le journal avec indifférence et émet quelques remarques avec distance. Mais le spectateur comprend qu’elle est sous le choc. Dès que son entourage quitte la pièce, elle se précipite fiévreusement sur l’article de journal. A travers cette histoire, Chaplin voulait faire passer des sentiments subtils et élever le cinéma muet. Cette histoire est basée avant tout sur ces personnages, sur leurs états d’âme, leurs interactions et se termine par une leçon de morale.
Chaplin sait utiliser la caméra pour renforcer les messages qu’il veut faire passer. Ainsi au début du film, Marie dans sa province est amoureuse de Jean Millet, cet amour est réciproque. Mais les deux pères s’opposent à leur mariage. Quand ceux-ci apparaissent c’est sous la forme d’une ombre menaçante projetée sur le mur qui dit instantanément au spectateur que ce personnage est négatif et menaçant pour le bonheur des jeunes gens. Cette image négative de la figure paternelle reflète probablement la perception qu’en avait Chaplin, lui dont la relation avec son père fut brève et malheureuse.
Autre utilisation de la caméra : le hors-champ que Chaplin utilise lors de la séance de strip-tease lors d’une soirée mondaine parisienne bien arrosée. On ne voit rien, mais c’est très bien suggéré !
Le film eut un grand succès auprès des spectateurs éclairés. C’était le premier des films muets à exprimer l’ironie et la psychologie. D’autres de la même nature suivirent, y compris The Marriage Circle d’Ernst Lubitsch, avec Menjou tenant pratiquement un rôle identique. (autobiographie de Chaplin).
Effectivement, si le film rencontra le succès auprès de la critique ("spectateurs éclairés"), ce ne fut pas le cas auprès du grand public et le film fut un échec.
Après avoir relevé le défi qu’il s’était lui-même fixé, Chaplin revint au burlesque sans pourtant perdre la dimension dramatique qu’il avait exploitée ici. En cela, la réalisation de A Woman of Paris fut certainement une expérience à travers laquelle il put vérifier son intuition et l’exploiter par la suite. En effet ses longs-métrages se caractérisent par cette association entre le drame et la comédie, les deux dimensions ne se gênant pas et étant parfaitement dosées. C’est la marque propre des films de Chaplin.
https://www.youtube.com/watch?v=IvHHQb-_TU4