J'ai vingt ans. Je suis un calédonien blanc.
Ce film, je l'attendais depuis environ 2-3 ans. Depuis le lycée en fait, où en terminal, pour la première fois de toute ma scolarité, on me parle enfin des "Évènements".
Pour les jeunes, les Évènements en Calédonie, c'est quelque chose qui s'est passé 20 ans auparavant que tout le monde connait, mais dont personne ne parle. Ce qui s'est passé à ce moment là à toujours été caché derrière ce vague mot "Évènements".
Il y a aussi la honte de ne pas savoir ce que c'est. On entend partout que ça fait partie de notre histoire. Notre histoire à nous. Du coup, on préfère se taire que de poser la question.
"Qu'est ce que c'est les Évènements ?"
Alors on comprend petit à petit. Les mots "lutte" et "indépendance" surgissent. Et on grandit dans ce flou. Ce flou qui caractérise si bien mon pays.
Depuis le collège on nous parle de programme adapté. Cessons le syndrome "nos ancêtres les gaulois", et apprenons la vraie histoire à nos enfants ! Sauf que la poterie Lapita, nous, on s'en fout un peu. On veut connaitre notre histoire proche. Et on ne l'apprend qu'en terminal. Je crois que j'ai dû être dans les premiers à l'apprendre en cours.
Je ne vais pas vous faire de cours d'histoire, wikipédia est là pour ça (http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Nouvelle-Caledonie), mais ce fut un choc. "Il s'est passé tout ça ?!".
Imaginez. Vous avez 17 ans, on vous parle de guerre civile et de prise d'otage. Tout ça sur la petite île tranquille sur laquelle vous avez toujours vécu. Et bien sur, étudiant en audiovisuel oblige, on se dit que ça ferait un super film. En toute naïveté, on commence même à l'écrire. Et puis un jour, on nous dit qu'il vaut mieux laisser tomber. On nous parle de problèmes avec les politiques. Et puis de toute façon, Kassovitz est déjà dessus.
Voilà ma première rencontre avec ce film.
Et en effet, il y a eu des problèmes. Tout le monde était opposé à ce film. 10 ans de négociations. Aussi bien avec les coutumiers Kanak qu'avec les politiques.
Ce que j'ai essayé de vous dire dans ma longue introduction, c'est que cette histoire à vraiment été un traumatisme pour toute la Nouvelle Calédonie et qu'en faire un film était un pari insensé. On ne l'étudie pas en cours avant la terminal, alors comment imaginer en faire un film ?
C'était sans compter la ténacité de Kassovitz. Son scénario a été réécrit maintes fois pour contenter tout le monde. La moindre prise de position pour l'un des deux parties, et c'était fini. Il aurait même pu réveiller ces vieilles querelles endormies à seulement 2 ans du référendum pour l'autodétermination.
Moi je voyais ça de loin. Ce que je voulais principalement, c'était qu'il se fasse pour pouvoir travailler dessus. Il a suffit d'une menace de mort en trop pour que la production se délocalise en Polynésie. Et avec le recul, c'est tant mieux.
Tout ça pour dire que ce film est important.
Je ne suis pas tout à fait d'accords sur la forme du film, et j'ai mis longtemps avant de comprendre ce mélange assez maladroit entre fiction et documentaire. Les plans sont léché, mais ce qu'il se passe à l'image n'est aucunement cinématographique. Les acteurs blancs semblent jouer comme des pelles, mais au fil du film, je me suis dis que c'était juste comme ça que parlerait un gendarme.
Vous me direz qu'un film est jugé sur le produit fini, mais je me suis tellement documenté dessus, que je sais que si Kassovitz avait tourné à Ouvéa même, il aurait filmé à l'épaule à la "Bloody Sunday" pour faire vite et ne pas attirer l'attention. J'ai l'impression que sa mise en scène vérité est resté, mais qu'il a posé la caméra, ce qui crée cette impression.
Il ne voulait pas non plus mettre de musique comme dans Assassin(s). Et en effet, cette musique minimaliste est assez insupportable.
A côté de ça, le film parle. Il nous montre avec calme ce qu'il s'est passé. Aussi bien moi que tout les gens touchés de près ou de loin à cette histoire, peuvent enfin se figurer ce qu'il s'est passé. Pour moi, seul les gens ayant déjà mis les pieds sur le territoire pourrons vraiment apprécier ce film à sa juste valeur. Pour les autres, il ne s'agira qu'un pamphlet anti-politicard maladroit. La faute à une histoire trop méconnue et à la peur de Kassovitz d'être trop explicatif, même s'il l'est déjà. L'enjeux dépasse les gens. Qu'est ce que le FLNKS ? Qui est Tjibaou ? Machoro ? Le rôle qu'ils ont joué ?
La culture Kanaks est compliqué à appréhender si l'on ne la pratique pas directement. Les acteurs Kanaks peuvent d'ailleurs paraitre mal jouer, mais c'est au contraire les plus criant de vérité.
La Calédonie est un mélange de cultures tentant de vivre ensemble.
On m'a dit un jour, "Depuis que j'ai arrêté d'essayer de comprendre, je me sens bien." Et le problème de l'universalité de ce film vient tout simplement du fait qu'il se passe trop de chose pour les résumer en 2h15.
Seulement, la prise d'otage de la grotte d'Ouvéa a marqué la fin des Évènements et le début du "destin commun" (encore un mot flou qu'on évoque sans l'expliquer) qui nous mènera tous à nous prononcer sur l'avenir de l'île à partir de 2014. Ce qui pour moi est le plus important à retenir. C'est donc dommage que cette information ne soit passée, à la fin du film, que par un amas de texte assez indigeste pour qui n'est pas concerné.
Dommage pour le spectateur européen, mais merci pour nous.
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