On comprend assez rapidement, en entrant dans le récit du nouveau film de Sébastien Marnier, que la fausse piste est une ligne éditoriale : elle semble même avoir contaminé sa promotion, qui nous vendait un huis clos à la Agatha Christie, présentant une famille dans laquelle se cachait un coupable. L’exposition déroule en réalité un écheveau bien plus retors, en disséminant plusieurs fils épars dont les nœuds semblent surtout des manques mystérieux sur les motivations, les liens et les caractères des personnages.
Dans ce jeu de faux-semblants, tous les talents sont conviés avec une jubilation ostentatoire : le casting se démène, et chaque partition frôle régulièrement avec l’outrance, sur le fil d’une sur-écriture assumée qui peut dans un premier temps déstabiliser, avant de mettre le spectateur au diapason. En représentation, les personnages et leur caractère composent une galerie à la fois provocatrice par la pose et profondément blessée dans ce qui tente d’être dissimulé. La direction artistique poursuit cette atmosphère baroque où l’artificialité et l’exubérance d’un manoir surchargé d’œuvres d’art et d’animaux empaillés font évoluer les personnages dans une sorte de musée malade.
La bizarrerie de cette famille de femmes gravitant autour d’un patriarche au charisme vénéneux a donc tout pour séduire, et l’écriture incisive oscille entre la caricature bien sentie (les achats compulsifs de l’épouse, la ténébreuse domestique) et le malaise quant aux gouffres autour desquels on s’observe.
Car la révélation successive des secrets fonctionne dans un premier temps surtout comme l’ouverture de trappes sur des caves bien ténébreuses. L’évolution du père cristallise ainsi des révélations qui piègent la malice de son entourage, et font basculer le récit, au fil de quelques séquences (le bureau, le bain, le canapé), dans un drame psychologique assez glaçant.
La réversibilité des personnages (principalement des excellentes Dominique Blanc et Laure Calamy) ne consiste pas uniquement dans le plaisir du jeu de dupes et d’une succession de retournement scénaristiques : Marnier travaille clairement le lien féminin et tisse deux motivations contradictoires (l’appât du gain et la revanche des victimes) qui irriguent assez brillamment l’évolution du récit. La mise en scène épouse avec raffinement cette avancée en eaux troubles : si les décors et la photo jouent d’une forme d’exubérance maladive et baroque, les mouvements d’appareil et le montage, d’une précision clinique, jouent sur d’autres tableaux, d’une intensité plus cérébrale. Il en ira de même dans son recours tout à fait réjouissant aux séquences de split-screen, pensées dans une évolution imparable. Dans un premier temps, la division de l’écran permet de déplier cette étrange famille en une série de plans frontaux et on ne peut-plus disjoints. La deuxième proposition consiste à faire évoluer un personnage sur deux cadres simultanés, signifiant sa réversibilité et son jeu qui passe d’un camp à l’autre. La dernière occurrence laissera longtemps un des cadres vides, avant que n’y surgisse un refoulé dont on savait le retour inéluctable.
Cette belle maîtrise est donc fortement prometteuse, et garantit un récit riche en développements, qui ajoute au jeu de massacre chabrolien la dissection d’un Hitchcock et le plaisir formaliste de De Palma. Au point, peut-être, de laisser entrevoir des audaces et un lâcher-prise qui resteront du domaine du fantasme. Le dernier quart du film, soucieux de joindre toutes les pièces et faire tenir l’édifice, tend à précipiter l’écriture, et privilégie l’efficacité narrative pour faire rentrer le film dans ce qu’on croyait n’être qu’un prétexte, à savoir un polar familial bourgeois. Le final en suspens, et quelques annonces disséminées quant à la possibilité d’une suite peuvent laisser supposer des évolutions plus audacieuses encore : la demeure et ses hôtes n’ont, quoi qu’il en soit, pas encore révélé au grand jour leur fascinante complexité.
(7.5/10)