Beau succès public et critique pour ce troisième long-métrage de Sébastien Marnier : à la lecture des avis de la presse et des milliers d'amateurs talentueux de la toile, on en vient à croire que Chabrol a trouvé un héritier, qu'il y a donc un jeune réalisateur qui a su retranscrire le parfum vénéneux de films tels que Les Biches, Que La Bête Meure, La Cérémonie, À Double Tour, Masques, et d'autres encore. Le principe des films de Chabrol était simple : détailler les psychologies viciées de familles de la bourgeoisie française par l'intermédiaire de l'intrusion impromptue d'une personne tierce, venant bouleverser leur quotidien et mettant au jour leurs habitudes mesquines. Au huis-clos étouffant se doublait donc une couche d'humour sardonique, et, souvent portées par les formidables dialogues de Paul Gégauff, les œuvres, pour les meilleures, donnaient un curieux sentiment de jubilation mêlée d'inquiétude.
Cela fait à présent plus de dix ans que Chabrol est mort, et l'appel du pied constant que lui fait Marnier dans cette Origine du Mal doit le faire se retourner dans sa tombe : la comparaison est dure pour le disciple, qui n'a pas la finesse escomptée pour l'exercice, et se vautre dans une complaisance permanente, des effets de spectacle des plus indigestes, et une tendance facile au twist : ce qui compte pour Marnier, c'est plus l'épate que la robustesse du matériau. Se traîne donc deux heures durant une caricature infernale de famille vérolée, que les multiples rebondissements scénaristiques incohérents ne parviennent ni à dynamiser, ni à rendre un peu folle. Car l'ensemble est tout le temps entre deux eaux : il a abandonné le réalisme, la peinture froide et clinique teintée de distanciation ironique telle que peuvent la pratiquer des Lanthimos ou Haneke, mais il ne vacille jamais non plus dans la folie, le baroque ultime, le lâcher-prise qui permettrait tout de même un peu de jubiler. Car, c'est une évidence, si Marnier n'est pas un grand scénariste, il n'est pas non plus meilleur cinéaste : il n'y a rien ici qui permettrait à tout cela de s'enflammer, la photo étant lisse, les cadrages très proprets et inintéressants, et le goût de l'ensemble assez pauvre (mention spéciale au chef décorateur, qui parvient à rendre moche une villa somptueuse). La seule audace, qui consiste en de petits split-screens inutiles, n'en est pas vraiment une : c'est tout au plus une crânerie grasse, un effet de style, une connotation si peu subtile à d'autres maîtres et si lourdement mise en avant qu'elle agace plus qu'autre chose.
La crispation est d'ailleurs la principale émotion ressentie à la vision de cette pantalonnade soi-disant provocante, mais qui se regarde avec beaucoup de sérieux (en témoignent les expressions très indignées de Laure Calamité et la morgue mortelle de Doria Tillier), et n'est pourtant ni trépidante, ni crédible, ni même drôle pour un sou. On distingue bien les intentions, mais elles sont si flagrantes et lourdement posées qu'on ne voit plus que l'envers du décor. Il ne fallait donc rien de moins que ce titre pesant comme du plomb pour courroner ce long-métrage accablant, qui témoigne donc de tous les travers qui peuvent parcourir le septième art français actuel : une déférence sempiternelle à ses plus grands maîtres (on regarde d'en bas), une prétention insondable, un manque certain de vision (l'image ! l'image ! où est passée la beauté de l'image ?), et une imagination des plus faibles. Ce cinéma-ci est le cinéma du Mal. Et Chabrol a après tout bien raison d'être mort.