Drôles d'oiseaux
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le 2 déc. 2016
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L’ORNITHOLOGUE (13,6) (Joao Pedro Rodrigues, POR, 2016, 117min) :
Ce voyage contemplatif suit la trajectoire de Fernando, un ornithologue en quête de spécimens rares de cigognes noires (ciconiidae), à bord de son kayak descendant une rivière portugaise et de sa paire de jumelle comme seul « arme ». Depuis seize ans et la découverte sur nos écrans de l’excitant O fantasma (2000) puis la confirmation avec Odete (2005), le réalisateur portugais Joao Pedro Rodrigues (dont le centre Pompidou fait une rétrospective de son œuvre du 25 novembre au 2 janvier 2017) ne cesse d’irriguer le cinéma par sa créativité et sa singularité. Inutile de préciser qu’avec ce nouvel opus exigeant le spectateur doit lâcher prise avant d’entrée dans cet univers et apprécier à sa juste valeur « arty » ce nouveau conte. En introduction accompagnant le son des oiseaux une phrase de Saint-Antoine (figure religieuse omniprésente de la culture et de la société portugaise) baignant le film directement dans le spirituel avant que de longs plans et sur les oiseaux et sur la nage sensuelle d’un homme vienne exposer la situation. La mise en scène par des plans larges qui intensifie la profondeur de champ et l’espace nous montre ce lieu comme un jardin d’Eden où la civilisation semble si loin. Ce monde bucolique s’offre à nous soit par le prisme des jumelles tremblantes en suivant le vol des cigognes où par des cadrages sur ce kayak à la langueur paradisiaque. Malgré un téléphone portable récalcitrant au réseau l’homme va petit à petit se détacher encore un peu plus d’un environnement qui le lie à la modernité pour se plonger totalement dans ce retour à la nature au milieu de magnifiques gorges sauvages. Une déconnexion totale de la réalité, hors du temps mais par hors du danger, complètement absorbé par la contemplation d’un vol d’une cigogne assez rare, la nature par le biais de violent rapides va avoir raison de l’embarcation de Fernando par un chavirage fatal. A partir de cet accident l’intensité dramatique du film va accélérer au gré de rendez-vous insolites devenant un chemin de croix et une véritable mutation pour le personnage. Comme une odyssée aux multiples obstacles le réalisateur s’amuse avec ces rencontres improbables. Ainsi le voilà nu sauvé des eaux par deux touristes chinoises en partance pour Saint Jacques de Compostelle s’avérant des reines du bondage en attachant méticuleusement à l’aide de corde notre mâle version Jésus érotisé pour une séance SM assez troublante pour notre héros au niveau de son petit oiseau érigé lors de son réveil. Puis on assiste à une étreinte avec un homme sourd et muet au doux nom de Jésus. Lamour est dans le gay. La richesse narrative convoque d’autres scènes oniriques où l’urologie se mêle aux rites païens et au croisement de routes de véritables amazones, tout au long de ce parcours sorte de représentation revisitée du mythe de Saint-Antoine. Une errance spirituelle qui va transformer Fernando petit à petit en Saint-Antoine illustrant par la même également par la voix (doublant la voix de l’acteur Paul Hamy) puis physiquement le réalisateur Joao Pedro Rodrigues. Une mise en abime totale dont la langueur peut confiner parfois à l’ennui voire quelquefois à l’agacement au vue des innombrables symboliques chrétiennes un peu grossières et des rebondissements scabreux, mais fascine également avec la même force par la sublimation de la photographie des splendides décors naturels et la beauté de certaines scènes versant vers le chamanisme. L’intrigue déroutante et parfois absconse pour l’athée comme moi qui ne connaît pas sur le bout de ses doigts l’histoire intégrale de Saint-Antoine de Padoue, génère une œuvre dont l’érotisme autour de la représentation du corps magnifiquement filmé de manière mystique et désirable trouble le cinéphile sous ma peau. Car par le biais de ce pèlerinage en forêt (inconscient collectif) et tous les chemins traversés le cinéaste convoque aussi bien les divagations mystiques de Pasolini, le surréalisme poétique d’Apichatpong Weerasethakul, les fulgurances expérimentales de Léo Carax ou le lyrisme de son compatriote Miguel Gomes pour le plaisir des amoureux d’un 7eme art singulier. Une escapade déconcertante au milieu des croyances, incarnée par un sculptural et troublant Paul Hamy (Suzanne, Mon Roi, Maryland…) très convaincant. Venez tenter cette pérégrination panthéiste insolite à la rencontre de L’ornithologue. Sidérant, hermétique et superbe.
Créée
le 6 déc. 2016
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