À une époque où le cinéma hollywoodien à gros budget se résume essentiellement à des "franchises", il est devenu commun de croiser les mêmes têtes dans deux, trois, quatre d'entre elles à la fois, voire plus si affinités ! En écrivant ma critique de la série Netflix Dark Crystal : Age of Resistance, je me faisais ainsi la réflexion que l'excellent Ralph Ineson était tour-à-tour apparu dans Harry Potter, Game of Thrones, Kingsman, Les Guardiens de la Galaxie et Star Wars ! Il s'agit à chaque fois de rôles secondaires, contrairement à Patrick Stewart et Ian McKellen, qui se sont chacun payés le luxe de marquer non pas un mais deux univers geek de leur empreinte indélébile ! Mais la liste est infinie, croyez-moi…


On en était cependant encore loin dans les années 70, ce qui fait incontestablement de ce L'Ouragan vient de Navarone une curiosité, sinon une anomalie. Non seulement il s'agit d'une des "suites" les plus improbables et les plus inutiles qui soient, mais son casting est tout bonnement somptueux, en tout cas pour le fan invétéré de Star Wars et James Bond que je suis, puisque la quasi-intégralité du casting est issue de ces deux séries : Harrison Ford, Carl Weathers, Angus McInnes, Michael Sheard, Leslie Schofield pour la première, Robert Shaw, Edward Fox, Barbara Bach, Richard Kiel et Michael Byrne pour la seconde. Seul rescapé : Franco Nero, mais avec ses participations à Django et Die Hard 2, on ne peut pas non plus faire de lui un symbole du cinéma indépendant, non ? Oh, et cerise sur le gâteau : le film est réalisé par Guy Hamilton, à qui l'on doit quatre opus de 007, dont le mythique Goldfinger !


Vous aurez remarqué que j'ai mis des guillemets autour du mot "suite", car pour moi ce suggère une véritable continuité entre le récit du premier volet et celui du second, et pas simplement quelques personnages et l’arrière-plan historique. Sorti pas moins de seize ans plus tôt, Les Canons de Navarone est un classique des films de guerre des années 60, au même titre que Le Pont de la Rivière Kwai, Le Jour le plus Long ou La Bataille d'Angleterre du même Hamilton. Cette histoire de commandos britanniques venus saboter un canon géant nazi en Grèce occupée se suffisait surtout à elle-même, elle se terminait en beauté, basta ! C'est assez révélateur en soi qu'aucune des stars de 1961 (Gregory Peck, Anthony Quinn, David Niven) ne soient revenues… de fait, les dix premières minutes de L'Ouragan vient de Navarone suffisent à se rendre compte du cynisme du studio : il s'agit d'un énième film sur la Seconde Guerre Mondiale, sans guère de relations avec son glorieux aîné, dont ils se sont contentés, sans le moindre scrupule, de reprendre le nom pour surfer sur son succès. Ça commence bien…


L'Ouragan vient de Navarone s'ouvre ainsi là où Les Canons de Navarone s'achèvent : Mallory et Miller, les deux commandos à l'origine du sabotage de la Wunderwaffen sont recueillis dans la Mer Egée par la Royal Navy, sauf qu'ils ne sont donc plus interprétés par Peck et Niven, mais par Shaw et Fox. Sans transition, nous les retrouvons en Angleterre où ils se remettent d'aplomb, avant d’être recrutés à contrecœur par Barnsby (Ford), jeune capitaine américain chargé d'assembler une équipe à parachuter en Yougoslavie pour éliminer "Nicolai", espion allemand soupçonné d'avoir dénoncé l'opération du premier film. Leurs contacts sur place sont des partisans locaux, dont le titiste Lescovar (Nero) et les tchetniks monarchistes Maritza et Drazak (Bach et Kiel, qui tournaient L'Espion qui m'aimait en parallèle pas si loin de là, en Sardaigne). Évidemment, entre trahisons et raids des Allemands, rien ne se passera comme prévu.


Le fil reliant les deux films est donc très ténu, mais tient-il la route ? Plus ou moins… pas facile de marcher dans les pas de l'immense Gregory Peck, monstre de charisme et de force tranquille, mais force est de reconnaître que Robert Shaw s'en sort avec les honneurs, dans un registre différent, plus pince-sans-rire. J'adore Shaw dans tous les rôles où j'ai pu le voir, car sous des dehors très flegmatiques et son sourire en coin, il parvient à cacher une vraie froideur, une vraie brutalité, ce qui le rend très crédible comme leader d'un commando d'assassins. C'est amusant, Shaw joue le méchant Red Grant dans Bons Baisers de Russie, mais son jeu et son physique préfigurent beaucoup Daniel Craig !


Hélas, j'ai beaucoup plus de réserves sur Edward Fox, venu remplacer David Niven dans le rôle du sergent Donovan "Dusty" Miller, spécialiste des explosifs. D'ordinaire j'apprécie beaucoup le très british Fox, mais là justement, il surjoue complètement le côté "Tea Time" de son personnage, qui n'est là que pour amuser la galerie, alors que Niven, certes comédien anglais par excellence, était conçu comme un personnage à part entière, et non une caricature. En court de chemin, je me suis pris à regretter que Shaw n'ait pas repris le flambeau de Niven plutôt que de Peck.


Qui des petits nouveaux ? Apparemment Harrison Ford s'est retrouvé embarqué sur ce projet de film de guerre à l'ancienne en guise de "bouée de sauvetage", au cas où Star Wars serait un flop au box-office, ce qui apparaissait alors assez probable ; ironie de l'histoire, ce fut l'inverse ! Mais il est intéressant de le voir si juvénile et presque intimidé par Shaw ; de même que Fox, sa performance paraît maladroite et outrancière durant la première partie du film, mais dès que la bande est parachutée dans les Balkans, on voit pourquoi et comment notre homme allait devenir LA star des deux décennies à venir. Il y a notamment un pugilat entre lui et Michael Byrne en officier nazi qui donna des frissons au geek que je suis, une dizaine d'années avant leurs retrouvailles sur le tank d'Indiana Jones et la Dernière Croisade !


À mes yeux, Franco Nero est cependant le meilleur élément de ce casting cinq étoiles ; je n'aurais pourtant pas donné du sombre Italien en partisan yougoslave, mais la classe et l'aura de mystère que le mari de Vanessa Redgrave sait insuffler à tous ses rôles fait ici merveille, sans doute aussi parce que Nero n'est pas encombré par l'humour un peu daté qui tire les interactions entre Shaw, Fox, Ford et Weathers vers le bas. Tiens, en parlant de Carl Weathers : sa participation à cette affaire est tout ce qu'il y a de plus grotesque et convenue, il s'agit clairement d'une tentative maladroite de racolage du public afro-américain, mais quoiqu'il jure moins de par sa couleur de peau que sa personnalité de manière générale, Apollo Creed est tout simplement irrésistible, comme toujours. Barbara Bach et Richard Kiel viennent compléter le tableau en faisant la même chose qu'en Agent XXX et Requin de L'Espion qui m'aimait : être jolie et très méchant devant la caméra, respectivement.


Le casting est donc des plus plaisants dans l'ensemble, mais c'est malheureusement la mise en scènes de Guy Hamilton qui m'a le plus déçu. Venant du réalisateur de Goldfinger et Vivre et Laisser Mourir, je m'attendais à autre chose que des mitraillades qui assurent le strict minimum, avec des soldats allemands décidément aussi efficaces que les stormtroopers ; Harrison Ford ne devait plus savoir où il en était ! Le déor des montagnes balkaniques est superbe, mais peu mis en valeur par une photographie tristounette. Histoire d'emballer un peu plus le spectateur, il y a bien quelques jolies explosions et scènes à suspens, mais l'ensemble paraît un peu fauché, surtout lorsque les maquettes sont aussi évidentes. Une scène en particulier m'a fait exploser de rire :


l'officier allemand décapité dans son half-track, soit le mannequin le plus évident de l'histoire du cinéma !


Bancal mais divertissant, L'Ouragan vient de Navarone est donc un double anachronisme, à la fois en retard sur son temps (l'heure était aux batailles spatiales, et non plus à la Seconde Guerre Mondiale) et en avance sur lui, avec son casting improbable mêlant les stars de plusieurs franchises à succès de l'époque, Star Wars, James Bond et Rocky. Rien que pour cela, je dirais qu'il vaut le détour, mais si vous espérez une vraie suite aux Canons de Navarone, vous risquez d’être déçu ! Ah, si seulement l'échec relatif de L'Ouragan vient de Navarone avait passé à Hollywood l'envie des suites purement racoleuses, je lui aurais probablement donné 10/10 ! On peut toujours rêver…

Szalinowski
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le 4 sept. 2019

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