L'Ultime Souper par Voracinéphile
On tient ici le défouloir des gauchistes bienpensants façon God Bless America, rien de moins ! Je ne m’attendais absolument pas à ce programme en commençant le film, autant dire qu’il m’a sacrément surpris. Rarement un objet de divertissement grinçant se sera révélé aussi politique, surtout au cours de la décennie 90. Il est assez intéressant de noter que le film cherche d’un certain côté la confrontation des points de vue, au cours du premier dîner mettant en face un vétéran devenu conducteur de bus avec des petits étudiants dans divers secteurs d’études (une façon comme une autre de balayer différentes couches de la société). Autant dire qu’avec des dialogues pas piqués des vers qui dégénèrent en confrontation à l’arme blanche, on est servi question politique sans concession. Jusqu’à ce que l’un des étudiants, devant le comportement agressif et intolérant du routier (un Bill Paxton bluffant), le poignarde. C’est alors avec un cynisme monstrueux que le groupe d’étudiants commence à s’organiser, se convaincant mutuellement de la légitimité de leur acte, et en faisant un combat politique. Combat qu’ils décident alors de réitérer sur d’autres militants extrêmes. Si le point de départ était tout simplement excellent et propice à une comédie de bon aloi (où un peu de réflexion ne ferait pas de mal), on entame alors le développement, hélas bien inférieur aux promesses annoncées.
L’ultime souper ne s’en cache pas, il est de gauche, et l’assume pleinement (malgré le cynisme de ses étudiants (atténuant les exécutions et marquant bien l’aspect comique du projet), le fond est largement d’accord avec eux, et partage leur jubilation à chaque exécution). Mais il ne se confronte qu’à des positions extrêmes, où leur attitude est « admissible » sans la moindre prise de risque (le curé homophobe au possible, l’industriel crachant sur les écolos, la vieille rombière anti-avortement, le mysogine qui tente de rester politiquement correct…). Les positions sont claires, le débat est stérile (les invités sont toujours convaincus, et donc irrécupérables), et les mises à mort tolérable. La comédie permet cette légèreté, mais le fond tient du fond de commerce sans la moindre ambigüité. Difficile de prétendre faire de la politique dans ces conditions, malgré le second degré caustique de certains dialogues. Le film le sent d’ailleurs au bout d’un moment, montrant alors nos étudiants aimant souligner (avant le coup fatal) l’intolérance beauf de leurs interlocuteurs, dans un élan de cynisme bienvenu. Mais passé cette étape salutaire (dans une farce politique, mieux vaut éviter que tout le monde soit sérieux sous peine d’être scrutée avec plus d’attention), les étudiants invitent une catho coincée de 17 ans qui intente un procès à son lycée pour l’avoir obligé à assister à des cours d’éducation sexuelle. Malgré le radicalisme de sa position, elle est épargnée pour son jeune âge et simplement renvoyée. Il y a quelques étapes, mais c’est basiquement cela. Pourquoi un tel revirement ? Le fait est que, peu à peu, le film est en train de redevenir sérieux et de faire réellement de la politique, en oubliant la comédie. C’est une manœuvre qui ne passe pas vraiment inaperçue, à la fois dommageable (le sérieux actuel marque du coup la démagogie des partis pris jusqu’à lors) et salutaire au film (qui se confronte maintenant à des débits qui relèvent le niveau).
Car arrive alors en scène le meilleur personnage du film, incarné par le majestueux Ron Perlman. Si ses interventions télés se révélaient être un régal de cynisme et d’hypocrisie politique (le personnage passant son temps à recycler d’énormes clichés), on découvre un homme posé et calculateur, se disant conscient de la radicalité de ses prises de position (utilisées pour faire de l’audimat) alors que ses opinions réelles se trouvent finalement très centrées. Sa théorie consiste à dire que si les extrêmes font parler d’eux, la majorité se situe clairement davantage vers le centre et a tendance à se modérer (et donc qu’il contribue, par ses actions critiques, à modérer la société (un baratin facilement destructible, mais convaincant dans le ton)). En confrontant enfin un personnage intelligent au groupe, les opinions divergent, et l’exécution prévue ressemble alors à un vote de démocratie. Le climax politique parfait, et d’une ambition vraiment inattendue pour un film de ce calibre. La figure d’Hitler étant revenue à plusieurs reprises dans les débats, le film fonde sa conclusion sur le fait que beaucoup de gens sont des suiveurs, et qu’ils se rallient à des individus qu’ils trouvent charismatiques et sur lesquels ils calquent leurs idées. Une façon comme une autre de dire qu’Hitler s’était appuyé sur la masse pour émerger, et que la politique fonctionne toujours un peu de cette façon aujourd’hui. Une mise en garde de gauche contre les opinions extrêmes donc, qui prévient de l’intelligence des bonimenteurs utilisant les lieux communs avec du politiquement incorrects pour récolter soutien, confiance, tout en semant le trouble chez les partis adverses. Le propos était ambitieux, et le constat facile à comprendre. Malheureusement, le comique initial avait d’autres visées, faisant au final un film inégal. La modestie du projet rajoute à cela le modeste jeu d’acteur (digne d’une série télé) et un visuel de petite envergure (une faiblesse technique à mettre sur le compte de sa modestie. Toutefois, le film se révèle surprenant dans son ton résolument politique, qui apporte un peu de fraîcheur à la comédie noire promise.