« Qu’est-ce que ça veut dire, dégueulasse ? C’est la guerre. »
Un film de guerre français ?
Un film réaliste de guerre français ?
Oui, et un très grand film.
Caméra à l’épaule, dans un noir et blanc somptueux, alternant les plans sur une nature carcérale et les portraits d’hommes en souffrance et en marche, le film nous embarque au cœur d’un quête perdue d’avance puisqu’il s’agit d’un repli. Sans solennité, à hauteur d’homme, nous apprenons à connaître les soldats, leur caractère, leurs différences et l’adversité qui finira par les souder.
C’est avant tout un film sur la violence du milieu : la nature est un bourbier dans lequel les hommes s’enlisent, l’eau y ruisselle de partout, du ciel, du sol, des fronts en sueur. La musique, très rare laisse place à un son constant, pluie, grillons, animaux exotiques, et de temps à autre bombardements ou rafales. Le chemin est une jungle inextricable qui ne cesse de barrer la vue, l’ennemi lointain et invisible. La véritable guerre qu’on nous donne à voir n’est pas celle du haut fait, mais de l’attente et de la marche. De temps à autre, les jumelles tentent de scruter une frondaison, une rive obscure, sans réellement parvenir à anticiper le danger. L’inconfort, la pénibilité, les blessés qui ralentissent la cadence, tout contribue à nous faire vivre une guerre tristement banale dans la souffrance qu’elle engendre.
Car ces hommes sont perdus, et nous ne pouvons rien faire d’autre que le suivre, la caméra refusant de nous donner accès à un autre point de vue. De ce fait, l’utilisation de la radio et des informations est capitale, bande son désenchantée du désastre, souvent en contrepoint avec les images, comme cette scène de l’agonie d’un soldat se soulageant à l’opium tout en écoutant Radio France Asie…
A l’inverse d’un récit épique et spectaculaire, Schœndœrffer nous intègre à une section dont on va partager le périple. Désaccords et visions différentes, entre l’idéaliste Torrens et le baroudeur Willsdorff, aboutissent à des confidences spontanées qui progressivement révèlent des hommes apprenant à s’estimer. Cremer, avec tendresse, égrène les histoires drôles, humanise cette randonnée vers la perte. La véritable quête de ce film semble être celle de l’identité, de l’humanité profonde de ces hommes avant de les faire mourir et d’anéantir la section. Alors, seulement, le spectateur pourra savoir ce qu’est un héros.