Quand tu aimes il faut partir
Je n'avais jamais vu ce film auparavant, une image me revenait cependant, celle de San De le regard et la posture déterminés à franchir un bassin de plusieurs mètres en surfant sur quelques modestes bâtons en bois regroupés à l'aide de deux fils situés de part et d'autre. Je devais être tombée dessus en zappant un soir en espérant trouver un film cool à regarder, j'avais tout de suite accroché, or comme je déteste prendre un film déjà en cours je m'étais résignée à le voir une autre fois. Cette autre fois, c'était hier. Je n'avais jamais vu ce film et pourtant... il m'a rappelé une lointaine période de ma vie, vous savez, la si douce et regrettée, le Commencement, la merveilleuse enfance. A cette époque là, lorsque j'avais aux alentours de 8 ou 9 ans, mon père qui avait un grand attachement au cinéma d'art martiaux - c'était quasiment dévotionnel - me fit découvrir le genre et ce fut tout de suite le coup de foudre.
J'enchaînais avec lui les films cultes et tombai très vite amoureuse de Bruce Lee, Jackie Chan quant à lui arrivait second dans mon classement puis il chuta plus tard de façon provisoire à la 3e place lorsque je découvris le très charismatique Jet Li (Jackie reprit la 2e place après Drunken Master II... très important de le préciser (le lunatisme - pour ne pas dire la schizophrénie - est très présent à cet âge-là, vous le savez bien)). Après visionnage d'un Le Jeu de la mort ou d'un Le Maître Chinois, j'étais vraiment chargée d'adrénaline et me prenais réellement pour mon super héros préféré. J'avais besoin d'extérioriser alors je sortais immédiatement dans le quartier rejoindre mon p'tit gang (je sais plus qui était le boss mais ouais, j'avais un putain de gang, nigga) afin que nous pussions dignement mettre en commun toutes nos idées pour finalement les mettre en pratique, en gros : inventer en 2, 3 minutes un scénario de gros aliéné et "jouer à la bagarre", jouer à se défoncer la tronche tout en prenant un plaisir incroyable. Voilà tout ce que me rappelait La 36e Chambre de Shaolin. Maintenant cessons de parler de moi et attaquons-nous au film et à son caractère.
Oui, du caractère, il en faut particulièrement dans les films d'arts-martiaux afin de ne pas sombrer tristement dans la répétition ou la monotonie. Les novices et les non-fervents du genre le reprocheront assez régulièrement avec souvent une certaine arrogance sous-entendant la supposée infériorité intellectuelle et artistique dudit style. Ici, la spécificité du film se définit notamment par une photographie totalement empreinte de mysticisme mais filmé humblement par Liu Chia-liang, sans l'ambition de vouloir montrer ce qui est plus grand et plus fort que lui. En effet, l'image est travaillée et se veut apaisante faisant ainsi corps avec les esprits de Bouddha et du kung-fu Shaolin. Cela forme constamment un espèce de voile transparent et lumineux qui dessine gracieusement autour des moines, un halo quasi-imperceptible. Tout au long du film, et plus particulièrement lors de la seconde partie que l'on pourrait nommer "L'Apprentissage", y est présente une douceur, sereine, silencieuse et immuable, une certaine force tranquille qui glisse de façon souple comme un grand écart sur le sable du temps ou un coup de pied sourd et rapide, donné dans le vent -chapitre qui inspirera 30 ans plus tard mon amour de Tarantino, lequel donnera naissance à un chapitre tout aussi (si ce n'est plus) anthologique dans Kill Bill : Volume 2, il tient d'ailleurs La 36e Chambre de Shaolin pour "le plus beau film de kung-fu de tous les temps".
En plus d'être bon réalisateur, Liu Chia-liang chorégraphie également les scènes de combats, des scènes de combats que certains qualifieront de prosaïques et sans folies donc par extension, assez ennuyeuses. Ce à quoi je réponds que nenni ! Nous sommes loin des chorégraphies fantaisistes et improbables d'un Ong-bak ou d'un Ip Man certes, mais n'oublions pas que nous sommes en 1978 dans un style réaliste et largement plus noble, à des années lumières du badass omniprésent de nos jours (d'ailleurs je ne suis pas sûre que le terme existait à l'époque). La pureté et la technicité des gestes aidés par les mouvements vifs de la caméra suffisent, impressionnent et marquent, ils n'ont rien à envier à la moitié des films d'arts-martiaux produits actuellement. Dans tous les cas, de la bastonnade, il n'y en a pas des tonnes car une grande partie de l'oeuvre traite de l'initiation au kung-fu à travers différentes épreuves. Elles sont physiques ou mentales, souvent les deux à la fois, et donnent parfois naissance à des scènes quasi-burlesques. Des séquences ludiques et jubilatoires qui nous font largement oublier les 20 premières minutes assez longuettes et qui j'en suis sûre plairaient aux réfractaires, des séquences surtout qui révolutionnèrent le cinéma d'arts-martiaux !
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.