Sans être en fin de parcours, Mario Bava est au début des années 70 dans une phase légèrement descendante à l'image du succès confidentielle et du résultat mitigé de son précédent film , le western Roy Colt et Winchester Jack. Le réalisateur s'engage alors avec un nouveau producteur pour un film à petit budget dont l'idée matricielle est de montrer à l'écran de nombreuses façons de mourir. La Baie Sanglante est un film expérimental propre à toutes les interprétations, un film parfois même un peu abscons dans ce qu'il raconte, mais il est surtout le prototype et le brouillon du slasher, le patient zéro d'une future épidémie de carnages cinématographiques et par extrapolation une œuvre prophétique sur des films dans lesquels le body count deviendra quasiment le seul argument narratif.
La Baie en question est donc une magnifique propriété en pleine nature que convoitent divers personnages à des fins spéculatrices et immobilières . Les personnages se retrouvent alors pris dans une folle réaction en chaîne de meurtres afin de posséder la baie.
Après une étrange séquence d'introduction accompagnant un insecte qui va finir par se noyer (??) La Baie Sanglante s'ouvre sur une magnifique scène de pur Giallo avec le meurtre d'une vieille baronne qui est la propriétaire de la fameuse baie. Pourtant très vite Mario Bava va tordre le cou du genre dont il est le père fondateur lorsque l'assassin retire ses fameux gants de cuir et que l'on dévoile immédiatement son visage à l'image et ceci quelques minutes minutes avant qu'il ne se fasse tuer à son tour. Dès cette brillante introduction Mario Bava déconnecte La Baie Sanglante du genre qui a fait sa renommée et semble rebattre les cartes pour surprendre les spectateurs ,seulement quelques minutes de film et déjà deux meurtres mais surtout pas d'assassin à deviner et un mobile déjà brouillé sous les tâches de sang. Et toute La Baie Sanglante va fonctionner ainsi avec une successions de meurtres plus ou moins graphiques , avec divers assassins et des motivations finalement plutôt étranges qui ne trouvent jamais de véritables justifications profondes dans l'histoire. Le film s'appuie sur cette idée de réactions en chaîne sous le regard entomologique d'un Mario Bava s'amusant de voir d'étranges insectes se bouffer entre eux pour un bout de terre avec ce paradoxe que les personnages qui souhaitent posséder la baie sont peut être finalement eux mêmes posséder par elle. Les spectateurs peuvent vite se retrouver complétement perdus puisque le film n'a pas vraiment de personnages principaux, pas tout à fait d'intrigue et n'offre donc pas le moindre point d'ancrage solide. Si La Baie Sanglante offre un brouillon des futurs slashers américains, Vendredi 13 en tête, le film de Mario Bava n'en possède pas encore tous les codes qui feront que les spectateurs se retrouveront ensuite devant des films certes parfois très violents mais souvent confortables dans leurs immuables mécaniques. La Baie Sanglante n'est pas encore tout à fait un slasher à l'américaine , pourtant en l'espace de quelques minutes au cœur du film, avec la longue séquence correspondant avec l'arrivée de quatre jeunes dans la baie, Mario Bava va vraiment servir sur un plateau d'argent touts les ingrédients du futur film de Sean S Cunnigham . Décor naturel, jeunesse insouciante, baignade et érotisme (Toutefois bien plus frontal ici que dans le cinéma américain), vue subjective du tueur, meurtres gore et graphiques à l'arme blanche, tout est déjà là et il ne manque finalement que le tueur unique aux motivations bien définies.
La Baie Sanglante est une œuvre assez nihiliste puisque tous les personnages vont mourir durant les 80 minutes soit en gros un mort toutes les six minutes et que le film porte son ambiance mortifère jusque dans son singulier final lui aussi propre à divers interprétations. Il est difficile de vraiment savoir ce que Mario Bava a voulu dire avec cette funeste hécatombe de personnages tous plus négatifs les uns que les autres et ce dernier dialogue de la version française "Regarde ils jouent bien les morts" ? Le réalisateur était il conscient que le cinéma d'horreur allait rentrer dans une sorte de surenchère dans laquelle ne compterait plus que le nombres toujours plus croissant de cadavres, et la représentation graphique et violente de leurs trépas seraient bien plus importantes que les personnages désincarnés jouant à être mort ? Mario Bava interroge t'il le regard du spectateur sur sa soif de violence toujours plus forte quitte à ne plus s'attacher à une histoire ou des personnages qui doivent simplement mourir pour satisfaire son appétit de violence graphique ? Ces enfants sont ils le futur d'un cinéma horrifique qui s'amusera de la mort en toute innocence ? . La Baie Sanglante est un film riche en questions comme en interprétations, Mario Bava semblant même se projeter dans les interrogations d'un genre qui n'existe pas encore tout à fait.
La Baie Sanglante semble bel et bien être le patient zéro de l'épidémie de slasher, un virus brut qui n'a pas encore muté au grès des pays qu'il va contaminer de sa léthale influence. Le variant italien aura tué 13 personnes en 1971 , il est impossible de dénombrer aujourd'hui le nombre de victimes à travers le monde; en tout cas, pour le meilleur comme pour le pire, on sait ou a été fabriquer la souche.