Un horizon lointain, d'immenses montagnes et toutes les nuances de bleus du ciel forment le décor de la cavale de Kit et Holly. On retrouve ici le contraste si cher à Malick entre le sublime de la nature, si paisible, et l'horreur et la cruauté qui jaillissent du comportement des hommes. Si les paysages aux vastes étendues que traversent les deux fugitifs imprègnent le film d'accents de libertés, de possibles, c'est pour mieux mettre en évidence la façon dont ils sont en réalité piégés. Lui, prisonnier de son comportement absurde, impulsif, jouant au criminel comme un enfant qui s'invente un personnage ; elle, embarquée dans ce tourbillon infernal en se demandant de plus en plus ce qu'elle fait là.
Curieusement, c'est elle qui narre le film. Elle raconte l'histoire comme un épisode étrange de son passé, l'époque où elle était jeune et n'avait rien vécu. C'est dans ces moments d'introspection que le film se révèle le plus sensible. Si les dialogues et les évènements sont le plus souvent absurdes au point d'en devenir drôles, cette dynamique est toujours compensée par la sensibilité d'Holly qui, avec le recul, exprime brillamment les émotions qui bouillonnaient en elle durant leur cavale. On a donc droit à des moments de poésie pure, où la voix off et les images se superposent pour donner au film un relief plus cérébral, mémoriel, qui en fait selon moi toute sa singularité.
Entre la séquence de la maison brûlée et celle de la danse dans la nuit, devant les phares de la voiture, qui sont pour moi les deux séquences majeures du film, s'exprime la complexité d'un jeune homme rejeté par la société qui ne retrouve sa place qu'en devenant un criminel connu à travers tout le pays. Il est donc moins animé par le désir de s'en sortir, de fuir, que de jouer à la perfection le personnage qu'il s'est inventé. C'est ce qui explique son comportement parfois incompréhensible et sa décision d'en terminer alors qu'il pourrait continuer à fuir. Un personnage difficilement attachant, mais néanmoins l'un des plus doux barbares de l'histoire du cinéma, capable de tirer dans le dos de son pote le matin et de faire un slow mélancolique sur Nat King Cole le soir.
Terrence Malick réussit à faire un premier film nimbé de mystères, tout en contrastes et ambiguïtés, mettant ainsi en place son cinéma, qui 50 ans plus tard continue de fasciner autant qu'il émeut, d'une originalité et d'une sensibilité rarement vues ailleurs.