Dès les premiers mots “Ma mère est morte d’une pneumonie quand j’étais toute petite”, une voix-off nous prend aux tripes et ne nous lâche plus. Le timbre si particulier de la jeune Sissy Spacek résonne et pose les bases de la narration ; une histoire de laquelle émane ce parfum si suave de liberté, élevée par une voix-off qui contraste autant par son détachement que son honnêteté.
La Balade sauvage est le premier long-métrage de Terrence Malick. Celui qui l’a propulsé derechef dans la cour des grands. Non seulement c’est une merveille technique et scénaristique, mais Malick se paye le luxe d’une mise en scène audacieuse et tout simplement exquise.
L’état du Nebraska, situé dans les grandes plaines américaines, est propice à ravir notre imaginaire, avide de paysages grandioses et de longues virées. Désert noyé dans un soleil rougeoyant, champs s’étendant à perte de vue, vieille bicoque délabrée au milieu d’une forêt éparse, tant de paysages qui marquent et impriment une trace durable dans l’inconscient.
Il aurait été facile pour le réalisateur américain de s’arrêter à ce défilement d’images. Ce qui rehausse la qualité de son œuvre est son scénario d’une simplicité étonnante, mais duquel il émane une fraîcheur, une violence incontrôlée, un amour propre à la jeunesse et à ses excès.
Dans cette cavale amoureuse, Malick se réapproprie le mythe des amants meurtriers, comme avait pu le faire Arthur Penn avec son Bonnie and Clyde. Mais là où Penn dépeignait une cavale violente, effrénée, implacable, Malick intègre une douceur qui semble presque déplacée dans cet univers.
On aperçoit déjà les prémisses de l’orientation que Terrence Malick donnera à ses futurs films. Ces regards perdus dans le lointain, cette violence toujours masquée, de dos, comme si le héros ne pouvait pas s’abaisser à contempler en face les horreurs qu’il est capable d’infliger, et bien évidemment son amour inconditionnel pour la nature, personnage à part entière de sa filmographie.
Le casting articulé presque exclusivement autour du duo Martin Sheen (connu pour son rôle du capitaine Willard dans Apocalypse Now) et Sissy Spacek (célèbre pour ses prestations dans Carrie au Bal du Diable, Une Histoire Vraie, ou plus récemment dans la nouvelle série de Netflix Bloodline) délivre une copie irréprochable. Comme un clin d’œil à James Dean dans La Fureur de Vivre, Martin Sheen excelle dans le rôle d’un jeune rebelle vivant en marge des réalités, persuadé d’être victime d’une société intolérante (un point sur lequel il n’a pas forcément tort). Sissy Spacek démontre déjà qu’elle est une future grande. Sa candeur et sa sensibilité dessinent une personnalité sensible qui nous subjugue avant qu’elle réussisse à nous exaspérer par sa froideur et son indifférence. Du grand art !
Leur couple restera comme un des plus beaux de l’histoire du septième art, entre tendresse, folie et rejet. Kit et Holly n’ont beau être que deux adolescents paumés dans une Amérique partagée entre ses valeurs puritaines et son désir de modernité, ils n’en demeurent pas moins des adultes pleinement conscients de leurs actes et des conséquences qui en découlent. À la poursuite de la promesse de liberté totale qui réside dans les paysages grandioses d’Amérique, ils finiront par se perdre dans cette immensité.
La Balade sauvage est une œuvre singulière empreinte d’une grande tendresse. Malick capte les petits moments qui ne semblent pas avoir un véritable intérêt mais qui sont l’essence de la vie et du cinéma.