La Bataille de la Neretva, l'événement historique tout comme (dans une moindre mesure) le film, offre une perspective relativement rare sur la Seconde Guerre mondiale, en tous cas un angle d'attaque peu courant et peu investi dans le cadre du cinéma. Il s'agit d'un épisode s'étalant sur quelques mois au début de 1943, lors de la dernière phase de la guerre sur le territoire des Balkans, connu sous plusieurs autres dénominations selon le point de vue considéré (quatrième offensive anti-partisane, ou encore opération Fall Weiss — "plan blanc" en allemand), qui a opposé des résistants yougoslaves d'inspiration communiste, les Partisans, à des forces regroupées derrière l'Axe (Allemagne, Italie, mais également Oustachis, un mouvement fasciste croate, et Tchetniks, une force armée yougoslave en conflit avec les Partisans). Autrement dit, un gros bordel géopolitique que l'on dispose ou non des éléments de base concernant les forces en présence et de l'historique des inimitiés entre les différentes parties.
Le film de Veljko Bulajic ne permettra probablement pas de saisir toutes les subtilités de ce conflit complexe, mais il permet de planter un décor pour préciser un tant soit peu les enjeux, ainsi que d'esquisser quelques moments décisifs de l'opération qui convergera vers le fleuve Neretva. C'est sans surprise que la majeure partie des trois longues heures est dévolue à la description du camp des Partisans, avec de très nombreux personnages et autant d'histoires de cœur ou de haine, mais une des choses les plus surprenantes dans La Bataille de la Neretva tient au fait qu'aucun des différents ennemis ne soit complètement caricaturé. Beaucoup d'antagonistes ne sont pas montrés comme des monstres fous furieux fascistes avec leur convictions nazifiantes chevillées au corps, mais plutôt comme des bad guys sérieux avec des objectifs à atteindre.
Il est tentant d'établir un lien avec une autre grande fresque guerrière à caractère propagandiste dotée d'un budget colossal sortie quelques années auparavant, celle de Sergueï Bondartchouk (Guerre et Paix, 1966), ce dernier ayant un rôle au sein de la grande galerie de personnages qui structure La Bataille de la Neretva — on peut croiser dans cette coproduction internationale, entre autres, Yul Brynner, Orson Welles, Hardy Krüger et même Franco Nero aux côtés d'acteurs yougoslaves. Bien qu'il s'agisse de la production la plus onéreuse de toute l'histoire de la Yougoslavie, son côté un peu brouillon et son accent mis sur les séquences de bataille (engins, figurants et explosions à foison) la placent davantage du côté du divertissement et du grand spectacle. Mais c'est néanmoins l'occasion de se familiariser avec un registre cinématographique à part entière, officiel, le film de partisans (des histoires de résistants yougoslaves communistes pendant la Seconde Guerre mondiale), avec ses décors très singuliers (vallées verdoyantes, montagnes enneigées, zones urbaines d'Europe de l'Est) au creux desquels se déroulent une guerre aussi sale que chaotique.
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