La bataille de Solferino, du média de masse à l’individu en guerre.

La Bataille de Solferino de Justine Triet, entre documentaire et fiction, a ouvert le cycle de la rentrée du Forum des images avec cette question : « Qui fait l’info ? Les coulisses des medias en 50 films ». Le film de près de deux heures s’immisce dans l’intimité de la journée d’une journaliste d’I-Télé dont la mission est de couvrir le direct, rue de Solferino, le 6 mai 2012 (deuxième tour des élections présidentielles). Autant dire, en pleine masse humaine hurlante et joyeuse qui s’applaudit elle-même quand elle se voit à l’écran. De cette masse filmée en longues plongées qui donnent des aspects de marées mouvantes à cette foule de militants, se détache un couple en crise dont émerge notamment un père en pleine revendication de son statut et de ses droits, un baby-sitter et quelques autres figures archétypales tel l’avocat (ou en passe de l’être).

Au milieu, deux guerres : celle de l’endroit où il faut être pour voir battre le poumon de l’enthousiasme électoral, de l’espoir, de l’envie (que ne reflètent pas forcément les militants interrogés dans le cadre de la partie documentaire du film) et celle de l’individu qui revendique sa place, qui existe. Il y a de tout mais il y a surtout deux camps qui s’affrontent. L’UMP et le PS ou encore la mère courage et le père désabusé de ses droits, en tort mais en pleine légitimité, paumé, violent mais attachant.

Les personnages gravitent entre l’appartement, vaste champ de bataille où les cris des enfants font la loi, et la rue de Solferino, vu tout à coup comme un dangereux jardin d’enfants. Au-delà de sa profession de journaliste, dont on ne voit que des brides de prise de parole face caméra, celle qui fait l’actu brûle en permanence au cœur de sa vie, tente de rester neutre mais fait les mauvais choix personnels, notamment en se laissant submerger par une peur irrationnelle. Ils sont tous dépassés, par leurs actes, leurs paroles, leurs dérives, le débit de leur langage et la solidité de leur rôle de parents. La volonté de posséder, de garder, d’éloigner et de protéger. Les rôles s’inversent alors, la peur change de bord à chaque instant. Et, il y a, notamment dans les plans de fin où la coupure juste n’est pas toujours trouvée, cette atteinte individuelle de la plénitude, du retour au calme, de la remise en place de l’individu dans une possible, bien que toujours difficile, discussion.

Justine Triet va dans cette guerre, sans concession, sans grands effets, elle fait émerger des individus en crise, en épousant ce rythme dans lequel elle se perd parfois un peu. Mais l’individu gagne toujours, ce que la journaliste du film met d’ailleurs en exergue pour la profession. Dans le magazine « Trois couleurs » (n°114), le producteur du film, E.Chaumet, déclare « Un film ambitieux raté est préférable à un film réussi sans ambition », gageons que cette bataille gagnée pour Justine Triet, prépare une guerre ambitieuse pour le cinéma français.
eloch

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