Alors que je m’apprête à créer une nouvelle liste consacrée à la construction de la mémoire de la Résistance et de Vichy, le premier film qui me soit venu en tête est celui-ci. Comme je n’ai pas été tendre en terme de notation pour ce qui est généralement défini comme un chef d’œuvre et un classique du genre, je me devais de laisser quelques explications. Enfin je crois. Enfin j’ai envie.


Formellement, cette oeuvre profite des travaux des films des années 20-30, qu’ils soient allemands ou soviétiques. Je me souviens encore de mon prof de fac qui se délectait des parallèles nombreux et nous initiait à la critique. Comment, ainsi, ne pas songer au cinoche si marqué d’Eisenstein comme la séquence de l’accordéon le suggère allègrement ou par les nombreux cadrages estampillés de la patte du maître soviétique ? La réalisation n’a finalement pas trop mal vieillie même si la seconde moitié du film est largement plus faible et finalement même pathétique.


Donc sur la forme ça reste du cinéma intéressant, pas toujours transcendant, mais intéressant. Le problème est ailleurs. Pour quiconque ne s’intéresse pas vraiment à la période et se contente de ce film, la France éternelle a été résistante comme aucun autre pays. Les soldats nazis devaient trembler en apprenant qu’ils étaient mutés en France plutôt qu’en Grèce, Yougoslavie ou URSS. Admirable peuple du rail, que ces pauvres cheminots héroïques qui ont littéralement donné leur sang pour couper les artères de la Wehrmacht, permettant ainsi la progression des Alliés vers Paris et l’Allemagne honnie. A ce titre la bande annonce est un moment assez exceptionnel :


http://www.ina.fr/video/AFE04009785


René Clément a conçu un scénario somme toute classique et efficace à partir de rencontres avec des survivants. Il a eu les moyens de son ambition, comme l’atteste le fait de pouvoir faire dérailler un véritable train lors du tournage. Seulement voilà, tout est quasiment faux. Faux comme ces soldats allemands assez demeurés qui rappellent allègrement le sort réservé à leurs homologues nippons dans les productions hollywoodiennes du type « Aventures en Birmanie » de Raoul Walsh. Faux comme toutes ces minutes finales et interminables sur la résistance du peuple français quasi unanime dans la lutte alors qu’il n’en fut rien. Nombreux furent les résistants de la dernière heure, peu furent ce qui luttèrent dès le début, voire même dès la fin 42.


Car Clément n’était pas là pour faire un film. Il était là pour construire une mémoire. Cette Bataille du Rail est à rapprocher de la volonté de John Wayne de soutenir la Guerre du Vietnam dans son terrible « The Green Berets ». Aussi falsifie-t-il allègrement les faits, occulte-t-il par exemple la collaboration de la SNCF dans la déportation des Juifs pour livrer cette copie immaculée d’une France résistante. Non, désolé, le rôle de la résistance française n’a pas été aussi décisif y compris dans la libération par des actes militaires (il a été surtout important dans le renseignement), loin de là et c’est un euphémisme, que celui des résistances armées soviétique, yougoslave ou grecque. L’hommage légitime devant être rendu à la minorité active est ici dévoré par une volonté de sauver les faits, c'est-à-dire de sauver l’honneur d’une France vaincue en 40, ayant légalement choisi la voie de la collaboration. Mais l’histoire est écrite par les vainqueurs et De Gaulle aura à cœur, comme nombres de têtes pensantes du GPRF de vouloir soigner le moral des Français en cette année 1946 ou les politiques ont la délicieuse idée de partir en guerre en Indochine.


Que retenir donc de ce film ? Du spectaculaire, une réelle maîtrise technique au profit de la construction d’une mythologie franco-française. Un film de propagande à la gloire de ce qui aurait pu arriver si les Français s’étaient tous unis dans la lutte. Un film patrimonial, à découvrir, mais à voir avec un esprit critique affuté. Tout le sens de ce 3 : attention, ce que vous allez voir est lyrique, terrible, pathétique, mais globalement pipoté.


Non, ce film n’est pas un grand film sur la Résistance ; par contre il s’agit d’un grand film sur le lavage de cerveau de la part d’une République traumatisée. Pris ainsi alors oui, c'est un chef d'oeuvre de propagande.

Aqualudo

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