Quand tu découvres "La belle et la bête" de Jean Cocteau à l'âge de sept ans, devant la vieille télé en bleu et blanc du salon, sirotant ton Tang dans ton pyjama Cosmocats, forcément t'en reste légèrement perplexe. Si les scènes un poil barbantes du début t'ont permis d'avancer dans la résolution du Mickey Mystère de la semaine, le reste va te laisser avec une impression étrange. Celle d'avoir assisté à quelque chose de... différent, quelque chose de presque contre nature. Tu es intrigué par ses bras sortant des murs, tu es mal à l'aise devant ces visages mouvants incrustés dans la cheminée, tu trouves troublante la ressemblance entre la bête et ton chat Whiskas. Tu en ferais presque des cauchemars, de toutes ces conneries. Puis viens l'adolescence et franchement, tu préfèrerais rouler un patin au vieux concierge réac du bahut que perdre une heure et demie de ta précieuse vie juvénile que de revoir ce film. L'âge adulte a fait de toi un cinéphile à part entière et tu te dis soudainement que se faire un Cocteau, ça doit forcément aider à culbuter de l'étudiante en cinéma, en grand pervers obsédé que tu es devenu.

Finalement, "La belle et la bête" de Jean Cocteau, c'est Orson Welles qui en parle le mieux, le qualifiant de "ruban de rêves". On ne pourrait mieux résumer ce concentré de poésie et d'imagination, instant de grâce d'un cinéaste poète hors du temps, hors des modes, hors de tout, s'inspirant des toiles de Vermeer et des illustrations de Gustave Doré (la belle ressemble à la jeune fille à la perle et la bête est la parfaite illustration du Chat Botté vu par Doré) afin de donner vie au célèbre conte de Madame Leprince de Beaumont.

Tel un George Méliès, Jean Cocteau innove, expérimente, donnant lieu à des trucages incroyables et à une mise en scène d'une imagination qui force le respect, créant des plans aptes à vous marquer la rétine pendant toute une vie, que ce soit l'atmosphère à la fois merveilleuse et inquiétante d'un vieux château doué de vie, le passage de la gracieuse Josette Day à travers le temps et l'espace, ou encore une bête incroyablement attirante et émouvante, superbement incarnée par Jean Marais.

Comme nous le demande Cocteau en début de métrage, il nous faut accepter cette part de naïveté en nous afin d'apprécier pleinement une oeuvre magnifique et intemporelle, superbe livre illustré confectionné dans la même matière que les rêves, dont le gardien sacré a pour nom Jean Cocteau.

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le 12 oct. 2013

Modifiée

le 12 oct. 2013

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Gand-Alf

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