Très joli à regarder, mais malheureusement trop fade
En 2011, alors qu’une nouvelle adaptation de La Belle et la Bête, de Guillermo del Toro avec Emma Watson, est évoquée, Christophe Gans travaille également en parallèle sur le sujet avec l’écrivaine Sandra Vo Anh. Son but : livrer une toute nouvelle version qui, à la fois, rende hommage au film de Jean Cocteau (1946, ça ne nous rajeunit pas !) et soit le plus fidèle possible au texte original (écrit par Gabrielle-Suzanne de Villeneuve en 1740). Une histoire éternelle pour un film inoubliable ?
À l’annonce de Christophe Gans à la réalisation, il fallait se douter que cette nouvelle vision de La Belle et la Bête ne serait pas un film français qui se vautre en essayant de faire à l’Américaine. Et pour cause, le bonhomme peut se vanter d’avoir à son actif Le Pacte des Loups et l’adaptation du jeu vidéo Silent Hill. Deux films à l’esthétique maîtrisée qui laissent espérer de bons résultats en ce qui concerne l’aspect visuel de ce film. Et dès les premiers extraits (bande-annonce, spot TV, etc.), nous ne pouvons qu’être conquis !
Pas besoin d’avoir le financement de Disney (Alice au Pays des Merveilles, Le Monde Fantastique d’Oz) ou d’être signé par Luc Besson (Le Cinquième Élément, la trilogie d’Arthur et les Minimoys) pour offrir aux spectateurs une œuvre visuelle aboutie. Bon, il faut reconnaître que certains effets ont été faits à la va-vite et cela se voit (les hautes herbes, par exemple, sentent le numérique). Mais avec un budget de 33 millions d’euros, pour un film français, l’ensemble se montre tout bonnement réussi. Notamment pour ce qui est des nombreux panoramas, aux couleurs chatoyantes. Tout est fait à ce que cela soit enchanteur, voire poétique (la musique de Pierre Adenot est un vrai délice pour les oreilles), puisant son inspiration dans l’univers d’Hayao Miyazaki (le réalisateur confirme cela dans une déclaration) pour que cette version de La Belle et la Bête soit écologique (dans les thèmes, dans le visuel…).
Grande nouveauté dans cette nouvelle adaptation : la Bête, réalisée par ordinateur, en motion capture ! Enfin, pas tout à fait, le comédien en question (Vincent Cassel) devant porter (pour plus de réalisme) les costumes du personnage ainsi que quelques prothèses (mains poilues et griffues, avant-bras et poitrines gonflés…). Seul son visage a été remplacé par celle d’un gros chat (ah oui, ne vous attendez pas à revoir le design conçut par Disney en 1992, Gans n’aimant pas du tout le dessin-animé), rappelant la Bête de la version de Cocteau. Quoiqu’il en soit, il est agréable de voir que le résultat fonctionne à l’écran, délivrant une créature crédible sans cacher qui l’interprète (on reconnaît aisément Cassel à travers le regard et certains traits du faciès).
Quant au reste du budget, il est passé dans la conception des costumes et de certains décors. Et cela se voit ! Faisant de La Belle et la Bête 2014 un long-métrage grandement détaillé, préparé avec soin. Qui ne donne nullement l’impression de regarder un film français. Vous l’aurez compris, visuellement, La Belle et la Bête de Christophe Gans a de quoi anoblir notre cinéma aux yeux du monde entier ! Si seulement le reste du film pouvait tenir la barre aussi haute…
Premièrement, il est fort dommage que le film se plie aux règles commerciales des producteurs. Celles qui font d’un long-métrage un divertissement tout public. Alors que nous aurions pu avoir une œuvre aussi sombre que celle de Cocteau, nous nous retrouvons ici avec un film enfantin. Amenant à l’utilisation de petits personnages (sortent de chiens aux gros yeux) certes mignons mais au combien inutiles au scénario. Ou encore à mettre en scène des personnages secondaires humoristiques (les sœurs de Belle, Anne et Clotilde) dont on se serait bien passé !
Parlons du scénario, justement ! Il est vrai que La Belle et la Bête fait partie de ces histoires connues de tout le monde. Et que par peur de lasser le public, il était plutôt judicieux d’aller à l’essentiel ou d’essayer de s’attarder sur certains points jamais ou rarement traités dans les autres adaptations du conte. Comme le passé du Prince ou le développement d’autres protagonistes. De ce fait, il est excusable que le film se permette quelques raccourcis scénaristiques. Mais là, ça frôle l’indigestion ! Le récit défile à une vitesse qui donne l’impression à chaque minute de voir la fin du film arriver. Pour vous donnez un ordre d’idée, Belle « semble » tomber amoureuse de la Bête au bout de deux séquences de dîner. Pourquoi « semble » ? Parce que ces raccourcis ôtent toute émotion au récit, à commencer par l’histoire d’amour entre les deux personnages. Jamais la romance, pourtant essentielle à l’histoire, ne prend forme ici, et c’est franchement frustrant à le constater !
Un fait qui faut également mettre sur le dos des comédiens, qui font plus dans le théâtral que dans la prestation. Pendant 1h52, vous entendrez des comédiens qui ne font que réciter (maladroitement pour certains, dont Léa Seydoux) leur texte, sans se risquer à sortir du lot. Une remarque moins appuyée pour Vincent Cassel qui, comme le voyait Christophe Gans, se révèle être l’acteur idéal pour incarner la Bête. À la fois orgueilleux et bestial. Dommage qu’en post-production, ils aient préféré laisser au personnage la voix du comédien au lieu de la modifier. Une intonation plus grave aurait sans doute été plus adéquate à la Bête !
Au final, le résultat est assez mitigé pour La Belle et la Bête version 2014. Enchanteur et joli à voir tel une grosse production hollywoodienne, à n’en pas douter ! Malheureusement, derrière cette magnifique débauche visuelle, il n’y a pas grand-chose qui puisse titiller notre intérêt. Le produit (le but étant vraiment commercial) se montrant plutôt creux niveau sentiments. Et voir La Belle et la Bête sans une once de romance, c’est comme regarder Les Tontons Flingueurs sans humour ! Pour la prochaine fois, avec un scénario, le cinéma français pourra enfin se vanter !