Non, il n'y a ici de maître que vous.
La Belle et la Bête de Cocteau fut le premier film que j'allais voir dans une salle de cinéma.
J'avais huit ans, je me souviens de ce jour comme hier et à partir de celui-ci, les salles obscures seraient mon refuge, mon cocoon, ma soif de rire, de pleurer, de sourire, d'être émerveillée, choquée, bouleversée, énervée, impatiente, terrifiée, et tant d'adjectifs que notre bon vieux Robert recèle.
J'avais huit ans en cette année 1980, notre professeur Monsieur Guillomet (Nous, élèves de primaire, adorions l'appeler "guillotine" en référence à ses punitions tranchantes) nous informa que nous allions faire une sortie pour nous rendre au cinéma. Au cinéma ! Le mot m'a happé tel un vortex, j'allais enfin aller au cinéma !! J'en rêvais depuis tant de temps que je fus intenable jusqu'au jour de la sortie !
Joyeusement désordonnés, mes camarades et moi avancions vers le lieu où se déroulerait la séance et à mesure que nous nous rapprochions, je maîtrisais de moins en moins mon impatience et invectivais les élèves retardataires qui traînaient en arrière. Après un rappel à l'ordre du professeur sur les règles de savoir-vivre pour calmer les plus indisciplinés de mes condisciples (je le remerciais en mon fort intérieur), nous pénétrâmes dans la salle de cinéma.
De longues rangées de sièges en velours cramoisi aux formes généreuses nous attendaient tels de fidèles serviteurs pour nos séants juvéniles et nous prîmes place. Je me rappelle encore fixer l'estrade et son écran masqué par les longues tentures de toile noire, me calfeutrant dans la profondeur de mon siège jusqu'à y presque disparaître. Les lumières laissèrent place à la pénombre, tandis que lentement les pans couvrant l'écran s'écartèrent, et mes yeux, après un court instant d'hésitation, se dirigèrent sur la toile obstinément blanche. Un claquement sourd se fit entendre et comme par enchantement, l'écran s'éclaira. Quel charivari dans mon coeur lorsque la scène d'ouverture se fondit dans mes yeux, je fus si émue que ma vue se brouilla. La magie du cinéma opéra en moi instantanément pour ne plus jamais me quitter et je remercie encore aujourd'hui mon professeur de m'avoir fait vivre ce moment.
Récemment inscrite sur Sens Critique, d'autres membres ont avec leurs mots décrit formidablement ce chef d'oeuvre, aussi, je ne citerais que ces répliques qui caractérisent pour ma part où se trouve véritablement celui qui est en position de domination dans ce film et fait éclater sublimement la force de l'amour :
La Bête : "Belle, acceptez-vous que je vous voie souper ?".
La Belle : "Vous êtes le maître".
La Bête : "Non, il n'y a ici de maître que vous".
Voilà, j'espère que vous aurez apprécié ce moment digressif sans réelle critique du film, c'était pour moi une manière de me présenter à la communauté et de partager avec vous comment j'étais venue à aimer de manière inconditionnelle le cinéma.
Bonne séance à toutes et tous.
Groovision