La Bête
6.4
La Bête

Film de Bertrand Bonello (2023)

Un monde où il faut être purifié de tout affect ou émotion pour accéder à un emploi

L'histoire est construite de telle façon qu'on met pas mal de temps à s'y retrouver, si on n'a pas lu attentivement le pitch de sa fiche technique. Je ne l'avais pas fait et à première vision du film, je n'ai pas compris grand chose, mais ça ne m'a pas empêché d'en bien aimer l'ensemble et d'être pleinement séduit par certaines séquences, sans être tout à fait capable de bien les articuler entre elles.

Je me suis ensuite un peu documenté sur ce dernier opus de Bertrand Bonello et saisissant mieux la construction de l'histoire, j'ai pu pleinement la comprendre et l'apprécier, lors d'une deuxième vision.

Si j'ai vu deux fois La Bête (pour mon plus grand plaisir), ça n'est absolument pas une nécessité. Le film m'ayant plu d'emblée, j'avais décidé d'en faire la critique et je voulais l'avoir bien en tête avant d'en parler. Il s'agit, en fait, d'un film de science-fiction. Mais un spectateur, qui ignore tout du scénario, ne le réalise pas tout de suite, parce que, quand l'histoire démarre vraiment, on est à Paris, lors de la tristement fameuse inondation de 1910 (tout le centre de la capitale étant submergé, avec des rues sous deux mètres d'eau quasiment). C'est dans ce contexte "follement romantique" que la pianiste Gabrielle Monnier (Léa Seydoux) retrouve un gentleman anglais, Louis Lewanski (George MacKay) et qu'ils tombent amoureux l'un de l'autre, sauf qu'ayant, depuis toujours, le pressentiment d'un danger imminent et qu'une catastrophe la menace, Gabrielle n'ose pas s'abandonner à ses sentiments pour Louis. Là, on fait un saut en 2044 dans un Paris futuriste, dystopique, où l'Intelligence Artificielle règne en maître et où chaque individu, s'il veut trouver un travail, est poussé à se débarrasser de ses affects et sentiments (car considérés comme nuisibles au bon exercice des fonctions qu'on lui confierait). Pour faire partie des heureux élus ayant un emploi, Gabrielle Monnier doit "purifier son ADN" (se débarrasser de ses émotions et affects) en revisitant ses vies antérieures. Cela se fait dans un "Centre de purification", au moyen de plusieurs séances (que Gabrielle subit avec appréhension : comment lui paraîtra la vie, une fois "purifiée" de tout sentiment ?). Au sortir d'une de ces séances, elle rencontre un certain Louis Lewanski qui, lui aussi en quête d'un job, est sur le point de débuter le même processus. Là, retour en 1910. On retrouve la pianiste Gabrielle et le gentleman anglais Louis. Cette fois, on réalise qu'on est transporté dans une vie antérieure de la Gabrielle Monnier de 2044.

En fait, on va naviguer entre trois périodes : 2044 (dans un Paris dystopique), 1910 (dans un Paris qui subit l'inondation du siècle) et 2014 (à Los Angeles). Les trois fois (dont deux sont ses vies antérieures), Gabrielle rencontre l'amour de sa vie : Louis Lewanski, montré sous trois incarnations ou réincarnations de lui-même, dont une plutôt surprenante.

Tandis qu'en 2044, elle tente de purifier son ADN, Gabrielle prend conscience que son amour pour Louis Lewanski n'a pu se concrétiser ni en 1910, ni en 2014 (vous découvrirez vous-même pourquoi). De plus, le "Centre de purification" lui annonce qu'elle fait partie des 0,7 % de cas pour lesquels la purification de leurs affects échoue : elle comprend alors que ses sentiments pour Louis Lewanski sont si profonds qu'elle en reste amoureuse. Il lui semble, dès lors, vital de le retrouver, elle est sûre de l'aimer.

Naturellement, je ne vous révèlerai pas la fin. Et rassurez-vous, le film comporte plein de péripéties, agréables ou non, que je vous ai complètement tues.

Léa Seydoux n'a jamais été plus belle et émouvante que dans ce film, elle y est franchement sublime : elle illumine l'histoire. Et George MacKay est très bien aussi, très fin, très anglais, très particulier et dans ses trois incarnations, il réussit à être à la fois le même et un autre. De tempéraments relativement contrastés, les deux acteurs font preuve d'une grande sensibilité et ils forment un très beau couple, malgré tous les pépins ou vicissitudes qu'ils rencontrent dans leurs trois vies successives.

Le film est aussi porté par une excellente bande-son qui s'accorde aux différentes périodes et il y a trois scènes dans des night clubs (dont deux assez longues, vivantes, parfaitement mises en scène). Il y a également une séquence dramatique dont le plan final semble tout droit tiré de Sunset Boulevard.

Comme je l'ai dit au début, c'est une dystopie SF (les moments et éléments qui la concrétisent étant, de mon point de vue, assez faibles, peut-être les moins réussies de la réalisation) ; c'est un film très intrigant ; c'est un film avec des scènes choc (parfois d'une grande beauté, surtout dans la séquence 1910) ; c'est un film romantique (avec deux personnages principaux eux aussi romantiques) ; c'est l'histoire d'un amour qui traverse les âges, l'histoire d'un amour persistant, et également celle, sinon ça ne serait pas une dystopie, d'un ratage amoureux.

Un joli bout de dialogue dit par Louis Lewanski (et illustratif de la psyché de Gabrielle, au moins pendant la période "1910" de l'opus) me revient en mémoire : "What's stronger ? Your fear or your love for me ?"

Le lien suivant vous branche sur la dimension amoureuse du film, et c'est un "slow qui tue" : https://www.youtube.com/watch?v=Ouej5HMlyY8

Créée

le 14 févr. 2024

Critique lue 410 fois

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Fleming

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