Dans La bête lumineuse, le documentariste québécois Pierre Perrault filme une dizaine de citadins au fond des bois lors d’une partie de chasse à l’orignal, dans la région de Maniwaki.
Au sein du groupe, des habitués et puis un nouveau, Albert un poète qui se démarque du groupe assez rapidement jusqu’à devenir le souffre-douleur.
C’est un film passionnant, d’une grande richesse et qui brasse une multitude de choses.
Film sur l’homme avant tout, sur le groupe, sur la relation entre fantasme et prosaïsme, sur la relation homme-nature, sur l’animalité, la cruauté,…. Et puis un grand film sur la parole.
Une parole qui circule presque sans cesse et qui oppose d’un côté les blagues graveleuses et les plaisanteries de la majorité du groupe, et de l’autre les élans poétiques et lyriques d’Albert.
La majorité du film se joue dans le chalet. Ici on mange, on boit beaucoup, on parle. Le cinéaste filme le groupe durant de longues séquences (un peu à la manière d’un Cassavetes). Il y a les exubérants, les taiseux, et Albert. Il saisit à merveille l’individu face au groupe, sa manière d’y être englouti, de s’y opposer, de le mener,… Albert dérange, énerve, car il ne parle pas comme les autres, car il n’est pas comme les autres. Il tente de faire corps avec le groupe, mais ça ne fonctionne pas. Il se force mais ça ne provoque que rejet, y compris par lui-même (lorsqu’on lui fait dépecer un lapin, ou lorsqu’on lui fait manger du foie cru par exemple). Sa personnalité est trop forte pour se faire engloutir. Il se dévoile alors que les autres sont dans une brutalité pudique.
Dans le chalet où l’on parle beaucoup pour ne rien dire, on évoque surtout la chasse et l’orignal. Objet de l’aventure, cet animal, cette bête lumineuse, abordée comme créature mythique est au centre de tout. Albert la fantasme et rêve de la voir, les autres font et refont dans leur tête leurs actions pour le chasser.
Mais au-delà de ça, il joue un rôle plus abstrait, plus métaphorique. Il est l’image que l’homme se renvoi à lui-même, sur son propre caractère, sur son comportement, sur sa position de chasseur ou de chassé. Mais il révèle aussi à l’homme son besoin de retourner à la nature et son aspiration à revenir à la fois à quelque chose de très terre-à-terre qui évoque le passé lointain (poursuivre sa proie pour se nourrir) que la quête de l’inconnu (la chasse au Dahu).
Et puis c’est aussi une manière de partir à la recherche de quelque chose enfoui en soi. Quelque chose d’invisible, de caché dans la forêt.
De la chasse on ne verra pas grand-chose dans le film. A l’exception d’une longue séquence fabuleuse, durant laquelle Albert et deux autres chasseurs sont postés à l’orée d’un bois et attendent que l’orignal en sorte. Le cinéaste parvient à capter l’attente, l’excitation, le silence, la peur, avant de la conclure sur un twist qui conforte totalement le sujet principal du film, la confrontation entre le fantasme et le réel. L’imaginaire idéalisé et le réel déceptif.
A travers tout ce qu’il filme, Perrault aborde d’une certaine manière le cinéma et l’art en général. Et il parvient magnifiquement à saisir cette petite vitre déformante qui sépare les deux.
L’exercice est étrange, dérangeant mais passionnant de bout en bout.
Teklow13
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le 7 oct. 2013

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