Pilier 1
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le 27 juin 2020
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De film en film, Martin Provost n’a de cesse d’affirmer son féminisme, sous la forme d’un engagement qui n’a rien de vindicatif et encore moins de punitif, mais qui prend plutôt les allures d’un questionnement poussé toujours un peu plus loin, autour de figures féminines résolument hors-normes ; un trait que ses héroïnes partagent toutes, d’une manière ou d’une autre.
Le titre promu ici, « La Bonne Épouse », n’est là que pour se trouver démenti de toutes les manières possibles, même si le premier temps semble l’illustrer. Nous nous trouvons en effet face à une « bonne épouse », Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche, époustouflante), qui, Directrice de l’une de ces Écoles Ménagères qui ont fleuri en France de 1873 à l’extrême fin des années 1960, entend former plein de petites « bonnes épouses » qui, dans un complet oubli d’elles-mêmes, n’auront pour principal souci que le bien-être matériel et moral de leur cher mari. L’épouse de Robert Van Der Beck (François Berléand, parfait en maître de maison chez qui la respectabilité n’empêche pas quelques accès égrillards...) est secondée dans sa mission éducative par sa belle-sœur, vieille fille massive mais délicieusement rêveuse (Yolande Moreau, irrésistible d’aérienne drôlerie), et par une bonne-sœur tyrannique et revêche (celles et ceux qui s’agacent parfois de ses rôles de bobo-bien-dans-sa-peau prendront plaisir à retrouver Noémie Lvovsky métamorphosée pour la circonstance).
On le mesure d’emblée, le propos est extrême, tout comme les « sept piliers », pompeusement énoncés et commentés, qui soutiennent la patriarcale architecture de l’institution conjugale. Mais cet extrême-là, et le ton de franche comédie qui en découle, est tout juste ce qui convient pour dissoudre toute velléité polémique, et donc inévitablement sermonneuse, et faire saillir les aspects délirants de pratiques qui ont eu cours naguère.
Afin de porter la vague contestataire, un quatuor féminin se distingue de la petite troupe des jeunes pensionnaires ; quatre profils très singularisés et excellemment interprétés : Yvette (Lily Taïeb), tout droit sortie du XIXème siècle, la frondeuse Annie (Marie Zabukovec), en avance sur son temps, l’altière Albane (Anamaria Vartolomei), noble égarée parmi ces roturières et embrasée par la rousse chevelure de Corinne (Pauline Briand). Le gynécée s’offrira même le luxe d’un hommage explicite, mais ici aussi féminin que son modèle fut masculin, au mythique « Zéro de conduite » (1933) de Jean Vigo.
L’intrigue, rondement menée, dans les couleurs acidulées de Guillaume Schiffman, avance à grands pas vers le printemps 1968 qui provoquera la fin de ces institutions d’un autre âge. Le scénario, co-écrit avec Séverine Werba et progressant sur des dialogues ciselés, est encore précipité de l’avant par une mort et des retrouvailles avec un amour enfoui, élégamment campé par un Edouard Baer en état de grâce. On pourra, selon l’humeur ou les principes, oublier, ou critiquer, ou apprécier les ultimes scènes, qui s’achèvent presque au sens propre du terme en pirouette, ou plus exactement en comédie musicale. Tout était bon, visiblement, pour échapper au ton pontifiant et donneur de leçon.
Il n’empêche : par l’outrance, et le rire ou le sourire qui l’accompagnent, Martin Provost parvient toutefois à transmettre un message des plus graves. À la différence de « Potiche » (2010) de François Ozon, qui visait essentiellement le rire, par le biais du décalage ou du ridicule, « La Bonne Épouse » fait également frémir, rappelant le carcan d’un passé que nos ascendantes, plus ou moins proches, ont connu et dans lequel, sous prétexte d’on ne sait quel retour moral, il ne s’agirait pas de retomber.
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le 3 juil. 2020
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