On connait la fin, annoncée de manière prophétique, suggérée par des allusions de Claude Chabrol et parce qu'on sait que le film est inspiré d'un roman anglais, lui-même inspiré de la célèbre affaire Papin, deux domestiques qui tuent leurs maitres, crime de haine social, crime psychotique, paranoïaque et dément.


On connait la fin et c'est cela que l'on savoure, comme dans un bon Hitchock, ce qui importe c'est le chemin, subtil, les multiples miettes que Chabrol sème sur la route de son film pour amener au moment fatidique. Pour cela il peut compter sur deux actrices lunaires, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert. La première campe une "bonne", simplette, gentille, mais mystérieuse. La seconde, une postière, mal élevée, sans gêne, au passé trouble. Les deux filles, venues du même milieu social, vont se lier d'amitié.


La "bonne" travaille chez une riche famille bretonne, dans une immense demeure familiale aux allures de manoir anglais. Ce n'est pas un hasard, Chabrol puise dans l'ambiance britannique pour camper son film qui oscille entre drame social et thriller implacable. Elle n'est pas méprisée cette "bonne". Bien que le mari se moque parfois d'elle, elle est l'instrument indispensable à la vie de famille. Elle a un pouvoir qu'elle va comprendre, peu à peu et est appréciée pour son professionnalisme par la famille qui rapidement lui fait totalement confiance.


Sauf qu'un jour, elle est coincée. L'ainée de la famille ( Virginie Ledoyen) comprend son secret, elle est analphabète. Un terrible manquement à notre époque, une difficulté rédhibitoire. Sous pression, la "bonne" menace de faire chanter la jeune fille qui est enceinte. De cet impossible engrenage va naitre le drame, la cérémonie, le cérémoniel, fou et démoniaque, installé minutieusement par Chabrol. Aidée de la postière qui la pousse à la folie, la "bonne" tue, sans vergogne, sans pitié, sans émotion aucune, elle tue ses maitres, après qu'ils l'aient humilié et renvoyé suite à ses chantages et ses secrets. Ils n'étaient pas mauvais ces gens, mais qu'importe, c'était les possédants, les maitres, il fallait couper les chaines. Crime de haine sociale. Conséquence funeste d'un rapport de classe.


Mais voilà, il y a aussi la psychologie des personnages. Les deux femmes sont à la limite de la folie. Leurs comportements peuvent faire illusions quelques instants mais vite le spectateur comprend ce que les bourgeois négligent trop complaisamment. Elles sont animées d'une démence prête à déborder à la moindre étincelle, l'humiliation sociale en sera une, assassinant une famille entière sous les airs de Don Giovanni. Préparant leur coup, chevrotine en plein ventre, après avoir saccagé la maison. Il n'y a pas de logique. Elles tuent, parce qu'animées d'un désir de tuer.


Et puis, on apprend, sans vraiment être certain, que ces femmes ont un passé, qu'elles ont déjà tué, l'une son enfant, l'autre son père. Crime familiaux et sans motif apparent, pure folie, Isabelle Huppert fait le récit du crime de son personnage d'une manière glaçante, laissant son enfant brûler sur le poêle, l'autre a abandonné son père dans sa maison en feu. Les deux femmes, criminelles démoniaques, s'en tirent, la justice n'ayant pas de preuves. Elles rient même de leur chance. Et alors que dans leur récidive elles croient s'échapper encore, elles sont rattrapées par leur trop grande foi en leurs capacités criminelles. Mais voilà qui verraient dans la gentille postière et la naïve domestique l'étoffe d'assassins ? Chabrol ne brosse pas le portrait de vilains bourgeois oppressants, la famille qu'il présente est respectable et sympathique. Le démon se cache ici chez les petites gens. L'horreur et le vice se terrent partout. Il n'est pas moralisateur, il n'y a pas de propos politique apparent et s'il y en a un, il est subtil. Les deux femmes auxquelles on avait pris le temps de s'attacher sont démoniaques. On pensait haïr les bourgeois, rien ne justifiera leur assassinat, gratuit.


La fin est soudaine, brutale, expédiée, comme une lettre à la poste. Le film ainsi montre un engrenage, celui d'un crime commis par folie, par rapports de classes exacerbés, sans que l'on puisse trouver une véritable explication aux actes. Il dérange jusqu'au bout, parce qu'il monte en tension, tout le long du film, surfe avec les limites de la normalité, il peut basculer à tout moment, la logique criminelle ne tient qu'à un fil, en l'occurence ici qu'à la lettre.

Tom_Ab
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le 13 juin 2019

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