Celui qui va voir un film d’Amalric est préparé. A une certaine idée du cinéma français : une ambition intellectuelle, une recherche esthétique davantage orientée vers l’austérité que la flamboyance, un récit littéraire qui se substituerait à des ambiances et des portraits d’âmes tourmentées.
Littéraire, le récit l’est toujours. Mais en adaptant Simenon, le cinéaste s’impose un canevas beaucoup plus conventionnel, celui de l’enquête judiciaire.
On retrouve dans une certaine mesure les enjeux du précédent film des frères Larrieu, L’amour est un crime parfait dans lequel flamboyait déjà Amalric : un conte de sexe et de mort, où la sensualité des espaces clos semble toujours devoir déteindre funestement sur l’extérieur. Mais là où la folie irisait les plans et la petite société des montagnes, c’est ici l’austérité d’une micro ville de province, volontairement dénuée de charme.
L’amour et le sexe ouvrent le film ; la photographie, très travaillée, insiste autant sur les lieux que sur les corps, fusion éphémère et indicible qui donne le ton du récit rétrospectif que sera l’enquête.
A la manière de Clouzot dans La Vérité, la dynamique du film fonctionne sur la confrontation entre deux instances : le couple adultère et l’administration policière puis judiciaire chargée de reconstituer leur histoire. Fragmentée, fondée sur les flashbacks, lacunaire, l’intrigue déstructurée dévoile des instantanés et laisse se mettre en place les malsains mélanges de l’amour passionnel.
L’austérité ambiante et le jeu désincarné des comédiens ont du sens : hagards, les rescapés. Hébétés, ceux qui les interrogent. Le film confronte des assommés, sur lesquels on tente de mettre des numéros de dossiers, d’établir avec un peu trop de force une vérité qui se dérobe.
Les souvenirs restent, et chargent les fantomes de bribes de vie, qu’on retrouve dans le sourire habité de Stéphanie Cléau, impresionniante d’intensité ténue.
Tendu, construit comme un archipel, La chambre bleue est une belle incursion dans le monde du polar par Amalric qui parvient à concilier les attendus du sujet et son approche de la psyché humaine.
Sergent_Pepper
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le 22 mai 2014

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Sergent_Pepper

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