Adapté de Simenon, d'un roman assez subversif pour l'époque (1963), la chambre bleue est tout sauf une intrigue policière. Il s'agit plutôt de l'histoire d'une passion racontée comme une enquête policière.
Le film s'ouvre sur les sons plus que sur l'image d'une scène sexuelle que l'on ne voit pas vraiment. (ayant assisté à une séance de projection en présence de MA, j'apprends que ce son d'ouverture, sans équivoque, n'était pas du faux, contrairement à toutes les autres scènes de sexe qui sont par ailleurs extrêmement réussies, comme par exemple cette étreinte sur le rebord d'une fenêtre où les amants sont trempés par la blute battante en arrière plan, sublime). Cette scène invisible se déroule dans la chambre bleue d'un hôtel, très calfeutrée, isolée du reste du monde comme l'est un peu ce film hors temps de Mathieu Amalric. On découvre donc d'abord la chambre dans le temps post orgasmique, puis un bout du corps de l'un et de l'autre des deux amants de ci, de là : une veine qui gonfle de tension sur la tempe, une goutte de sang qui perle après qu'Esther (Stéphanie Cléau) ait mordu son amant Julien (Mathieu Amalric lui-même), une fulgurance du genre Origine du monde tout à fait dans l'ambiance (en plan beaucoup moins rapproché que celui de Bruno Dumont dans l'Humanité, et beaucoup plus esthétique).
MA installe une ambiance très sensuelle et étrangement mélancolique, avec des dialogues (ceux de Simenon) un rien ringard, dits de manière franchement atone par Stéphanie Cléau qui n'est pas une actrice, avec une voix jeanne balibaresque, ce qui accentue encore l'impression d'un monde parallèle. Si on mentionne le format 1:33 du film, on comprend assez vite que MA veut un rendu old school, il a d'ailleurs parlé de Jacques Tourneur pendant le débat...
Très vite, on retrouve Julien entravé par des menottes dans le bureau d'un juge, superbement campé par Laurent Poitrenaux. On a l'impression qu'il vient de tuer sa maîtresse, dont on a des flashbacks qui semblent appartenir aux pensées de Julien et qui montrent qu'il est dévoré de désir et ne pense , ne peut penser qu'au corps de son amante et au sexe qui les relie. Mais assez vite, on comprend que ce n'est pas elle qui est morte. Ce qui relie ce film à une quelconque intrigue policière est là, même s'il n'y a pas véritablement d'enquête : dans la manière que MA a de dévoiler plus ou moins en avance de phase les différents éléments de l'instruction, et de façon plus ou moins brutale. Et cette montée sera assez constante tout au long du film, pour captiver notre attention jusqu'à la dernière image du film.
Tout est mélangé dans un tourbillon : les amants, mais également leurs conjoints respectifs. Même si on saute d'un lieu à un autre, d'un temps à un autre, on arrive cependant à bien suivre l'histoire qui nous est racontée.
Le découpage et le montage sont des points forts du film, du fait du réalisateur lui-même, mais également parce qu'il nous précise que le roman de Simenon (que personnellement je n'ai pas lu) est quasi -fragmentaire, ou au moins éclaté avec des éclatements spatio-temporels (flashbacks, allers-retours entre le bureau du juge et la chambre bleue dans la même scène/séquence), et qu'il voulu absolument restituer cette non linéarité.
Film à tout petit budget, tourné dans l'urgence comme une pause, une prise d'élan, un bac à sable comme on dit dans le mode du business, avant le grand saut (MA nous a parlé de son énorme projet d'adaptation du rouge et noir, d'où le "Juilen" de ce film), la chambre bleue montre une très grande maîtrise de la part du réalisateur. rien n'est laissé au hasard, tout a été pensé pour fonctionner. Et ça fonctionne. Même si le film parle davantage à notre tête qu'à nos tripes, car il y un certain parti pris de froideur dans le jeu des personnages, dans le choix des décors (la maison de Julien et de sa femme -admirable Lea Drucker, qui doit exprimer un maximum avec le minimum imposé par le scénario- ), c'est un grand film qui mérite une bonne place dans le palmarès cannois, tout comme Tournée du même réalisateur a eu la sienne en son temps.