Plusieurs raisons m'ont poussé à aller voir ce film dans les salles obscures. Premièrement, parce Thomas Vinterberg c'est entre autre Festen, une mini-révolution dans le monde du cinéma. Vinterberg est un cinéaste qui divise énormément tant sur le fond que sur la forme. Mais il faut au moins reconnaître qu'il est à l'origine d'un courant reconnu qu'est le Dogma, la sortie de son nouvel opus suscite donc l'attention chez le cinéphile averti. Deuxièmement, parce que Mads Mikelsen est l'un des acteurs des plus doués de sa génération. En tête d'affiche de la célèbre saga Pusher, Bleeder ou encore Valhala Rising d'un autre grand cinéaste danois, Nicolas Winding Refn, Mads a enfin été récompensé par le titre de la meilleure interprétation, à Cannes. Ce film était donc l'occasion de révéler à un public averti l'étendue de son talent. Enfin, parce qu'un sujet aussi difficile que la pédophilie pouvait être intéressant à aborder, à condition que le traitement de celui-ci ne tombe pas dans le pathos et la fausse morale. Pari réussi pour Vinterberg, et avec la manière !
Dans une petite ville paisible et sans histoire, Lucas est animateur dans un centre aéré pour enfants. Récemment divorcé, il est en pleine reconstruction de sa vie. Il est apprécié de tous, par ses amis, sa collègue de travail, sa nouvelle petite amie, et aussi par les gosses du Jardin d'Enfants. Quand un jour, une rumeur vient se propager. Sortie tout droit de la bouche d'une enfant, celle-ci prend une telle ampleur au sein de la communauté qu'elle s'apparente à une contamination virale. Lucas aurait donc abusé sexuellement de cette gamine. S'en suit une longue descente aux enfers pour Lucas.
Ce film est profondément nihiliste. On ressent que Vinterberg est un ami proche de Lars Von Trier. En effet, Vinterberg peint le mal-être d'une société, celui d'une société restée archaïque malgré les apparences, où l'inconscient collectif du jugement arbitraire et de l'irrationnel peut parfois prendre le pas sur le bon sens individuel et la présomption d'innocence. Parfois, même dans une société civilisée, les sentiments primaires de chacun peuvent anéantir toute conscience de Justice et d'ordre établi. Pourquoi croire une enfant et non un ami de longue date ? Du point de vue du public tout cela paraît totalement absurde, et nous souffrons avec Lucas, nous subissons avec lui le lourd regard de la communauté sur lui. Et bien que Lucas ait été relâché par la police faute de preuves, l'accusation des habitants persiste. La dernière scène, magnifique, conclue magistralement l'histoire : Cette chasse au pédophile le traquera jusqu'à la fin de sa vie, et que l'ennemi peut-être partout, et n'a pas de visage, il est incarné par l'inconscient collectif de tous.
Mais imposer un point vue unilatéral au spectateur aurait pu être dommageable. Au contraire, le doute sur l'innocence ou non de Lucas reste tout de même bien présent. L'attitude de ce dernier reste très ambigüe. Mis à part une fois, jamais il n'avouera clairement devant tout le monde qu'il est innocent. Le jeu d'acteur exceptionnel de Mads Mikkelsen facilite la réprésentation de cette ambiguité. On pourrait également dire la même chose des autres personnages, qui ne sont pas ancrés dans des personnages "types", manichéens et dénués de lucidité. Ils restent avant tout humains, ils savent se remettre en question, leurs sentiments fluctuent. A l'image de Théo, son meilleur ami et père de la petite fille, prêt à jeter l'éponge et avouer que cette histoire peut aller trop loin. Ce qui rend l'histoire encore plus terrible, car plus "humaine" et et réaliste.
En définitive, ce film est remarquable par son message puissant et nihiliste de notre société. C'est une oeuvre oppressante, déstabilisante, et fort dans son propos. Pour moi ce fut une véritable claque, sûrement un des films majeurs de cette année. Mention spéciale à Mads Mikkelsen, qui nous montre également que sa récompense à Cannes est entièrement méritée.