Misérables humains que nous sommes
Nouveau tour d'horizon cannois aujourd'hui avec la critique d'un film qui sortira en salles le 14 novembre à savoir La Chasse du danois Thomas Vinterberg à qui l'on doit notamment Festen. J'avais aimé ce film d'ailleurs bien que j'en garde très peu de souvenirs et j'avais hâte de découvrir le nouveau bébé de ce réalisateur qui s'annoncait très prometteur, auréolé d'un prix d'interprétation pour Mads Mikkelsen et du prix, certes anecdotique, du jury oecuménique. La Chasse raconte l'histoire d'un ancien professeur désormais employé d'un jardin d'enfants qui se retrouve, à tort, accusé de pédophilie. De quoi aborder divers thèmes et de faire monter la rage chez le spectateur à priori, typiquement le genre d'histoire qui me remue si celle-ci s'avère bien traitée. Finalement qu'en est-il de La Chasse?
Qu'on se le dise tout de suite, j'ai adoré La Chasse, il fait d'office partie de mes films préférés de l'année et j'ajouterais que ça fait vraiment plaisir de voir ce genre de film au cinéma. C'est une histoire qui commence d'un rien pour exposer une nouvelle fois une nature humaine sous un jour peu glorieux. C'est une histoire qui commence par le mensonge d'une petite fille frustrée par le fait que l'animateur pour qui elle craque refuse son bisou. C'est l'histoire d'une descente aux enfers surprise pour un homme sans histoires. Bref, on constate très vite que ce film va sévèrement nous remuer intérieurement.
Car c'est à partir d'un mensonge d'enfant que s'enclenchera un déferlement de violence orchestrée par une société archaïque et sans pitié. On sent quand même que Vinterberg est un pote de Lars Von Trier, on retrouve pas mal de similitudes dans le traitement du sujet. A la manière d'un Dogville, on ressent une énorme empathie pour le personnage principal victime de la cruauté de la société. Et on souffre avec lui.
D'entrée de jeu on pourrait s'attendre à un film démonstratif et manichéen. Ce n'est pas foncièrement faux mais ce n'est pas foncièrement vrai non plus. Vinterberg est quand même plus fin que ça et a su peindre ses personnages avec une belle pointe de subtilité. Il nous peint des hommes tout simplement, avec leurs qualités et leurs défauts, mais avec surtout un inconscient collectif qui se forme dans une communauté pour tenter de détruire ce qui est plus faible que soi. Une impitoyable partie de chasse en somme.
De ce film se dégage une forte intensité émotionnelle. Plus que l'illustration et la démonstration d'une simple injustice, c'est un constat large et amer que dresse Vinterberg. Qu'est-ce que notre société? Au fond a-t-elle évolué? Pas tant que ça finalement, nous sommes toujours dans une situation de dominant-dominé où la masse restera déterminée à dicter sa loi avec le mépris de toute notion de présomption d'innocence.
En fait ce qu'on pourrait reprocher à La Chasse c'est d'utiliser quelques facilités avec notamment des personnages qui se retournent trop vite contre le protagoniste principal. Mais cette impression est quelque peu gommée par le fait que Vinterberg ne tombe pas dans un schéma manichéen classique. C'est plus intelligent que ça, heureusement d'ailleurs.
Il y a pas mal d'interrogations qui se dégagent, concernant le sens de l'amitié notamment et l'importance accordée à la sacro-sainte vérité qui sort de la bouche des enfants (ce qui, entre nous, est une sacrée connerie). Certaines scènes sont révoltantes. J'évite d'en parler en détails pour ne pas spoiler mais la simple rencontre entre la petite Klara, la directrice du jardin d'enfants et le pseudo-psy donne de réelles envies de meurtre.
Pas mal de séquences sont révoltantes mais ça ne sombre jamais dans l'outrance, il y a une parfaite cohérence dans l'écriture qui fait que le tout n'est pas gratuit, Vinterberg ne prend pas un malin plaisir à faire souffrir son personnage, il y a un réel propos qui se dessine derrière tout ça sans que celui-ci n'écrase l'intrigue.
La mise en scène du film est redoutable d'efficacité grâce notamment à un excellent sens du cadrage et un découpage minutieux. Par ailleurs on a le droit à un rythme très maîtrisé avec très peu de temps morts, ou pour ainsi dire aucun. En réalité j'étais tellement captivé par l'intrigue que je ne pouvais en décrocher ne serait-ce qu'une seule seconde.
C'est un film brillant mais très frustrant car on assiste impuissant à la fausse culpabilité d'un homme comme tous les autres qui n'a pas mérité d'être accusé de la sorte, qui n'a pas mérité d'être pratiquement abandonné de tous et qui se retrouve ainsi victime d'une société qui se complait dans la volonté de détruire une âme humaine.
Le film est porté également par une interprétation de très haute qualité. Mads Mikkelsen mérite entièrement son prix d'interprétation à Cannes pour sa performance intense et pleine d'émotions. En toute franchise, c'est quand même d'un autre niveau que la prestation de Jean Dujardin dans The Artist.
A ses côtés on retrouve de bons acteurs et des actrices convaincantes. Surtout une, la petite Annika Wedderkopp qui surprend de par son jeu naturel et son charisme naissant. J'ai l'impression de me répéter quand j'assiste à de bonnes prestations d'enfants au cinéma mais ça fait tellement du bien de voir des gamins bien jouer. Ca nous change tellement des têtes-à-claques présentes en masse dans les blockbusters. Bref, j'espère qu'il s'agit d'une future actrice de métier car il y a du potentiel.
D'une manière générale la direction d'acteurs est épatante et cela est également accentué par une remarquable écriture au niveau des personnages. Ces derniers vivent tout simplement, on ne les sent jamais enfermés dans un rôle bien déterminé, il y a vraiment du très bon boulot à ce niveau.
La Chasse est un film prenant et plutôt estomaquant grâce à une très bonne illustration de la bêtise humaine et une mise en scène maline. J'ai bien aimé cette présence métaphorique et subtile du danger, notamment sur la fin. On a l'impression qu'un ennemi invisble rôde toujours, ce qui rend le film vraiment oppressant.
C'est une oeuvre qui soulève diverses interrogations autour de la nature humaine. Peut-on faire réellement confiance à quelqu'un? Si un cas similaire se produit, qui sera là et qui nous croira? Qu'est-ce que l'innocence? Qui croire? Bref tout un tas de questionnements qui peuvent nous toucher à un moment donné de notre vie et un propos plutôt rude exposé par le cinéaste danois.
La Chasse est un film que je ne peux que conseiller pour sa puissance, son message et ses grandes qualités artistiques. Une oeuvre dense qui mérite largement le coup d'oeil pour sa richesse et qui reste parfaitement accessible.
Voici pour l'instant mon chouchou de la sélection cannoise 2012. Une oeuvre percutante, captivante jusqu'à la toute dernière seconde avec de grands instants de cinéma et un acteur principal qui sait se surpasser et transcender son jeu. Un très bon film tout simplement.