Après le coup d’éclat de Festen et à la lecture du pitch de ce film, on était en droit de craindre bien des redites et des excès de La Chasse. L’accusation à tort d’attouchements sexuels sur une petite fille est la pente idéale vers un déchainement de fureur et l’explosion de toutes les barrières morales habituelles.
A ce titre, la première scène est édifiante : virile en diable, elle croque le potentiel brutal du groupe encore amis : rire tonitruants, alcool, blagues salaces. Son intérêt, et tout ce qui va suivre, est bien entendu de placer un a à un les indices de cette force qui pourra retourner contre l’un des membres de cette joyeuse communauté. Vinterberg joue habilement avec ce principe pendant tout le premier tiers du film : le spectateur est le seul sur ses gardes, redoutant tout contact entre Lucas et les enfants, à l’affut d’une mécanique implacable qui jouera prochainement en sa défaveur. Les sourires de Klara sont dès lors dévastateurs, tout comme on donne une importance démesurée à la mention d’un fusil, en souvenir de ce qu’en dit Tchekhov.
Alors qu’il se déroule, le film se révèle plus lent que prévu. On s’attarde sur la splendide photographie qui capture à merveille l’unique lumière des pays nordiques, on croque un à un les personnages secondaires et les tentatives d’amour de Lucas, le père divorcé tentant de récupérer la garde de son fils.
Lorsque l’affaire éclate, l’attente du spectateur est à son comble. Et la grande qualité du film se déploie à mesure que l’intrigue assez mince se dévoile : la pudeur. Ce qui intéresse Vinterberg est davantage le soupçon que la fureur ; nous ne sommes pas chez Peckinpah. Certes, la violence adviendra, (le chien, le supermarché) et ce ne sont d’ailleurs pas les meilleures séquences du film qui semble un peu plus convenu sur ce sujet. Ce qui prime est davantage le temps réel de l’interrogatoire de Klara, le dilemme sur la personne à qui accorder sa foi et la quête silencieuse, voire christique (on n’est pas loin de penser à Dreyer par instants), de Lukas pour rétablir la vérité.
Sans recours excessif à la musique et au pathos, au plus près de la justesse des hommes empêtrés dans leur propre engagement face à la justice, La Chasse est donc habile. S’il explore la part sombre d’une communauté, il tente aussi, pari ô combien risqué, de rétablir l’équilibre par les thèmes de la solidarité (la figure très attachante du parrain, et les erreurs légitimes du fils qui insuffle l’indignation de son âge sur cet enfer) et surtout du pardon.
Renoncer au climax, promettre le retour du fusil sans qu’il advienne de façon aussi frontale, mêler la paix retrouvée et les soupçons qui ne se tairont jamais : c’est dans ce très juste milieux que se situe le film.
En eaux troubles, irisée d’un soleil froid.