Dès son premier long-métrage parlant, Jean Renoir s’autorise une liberté de ton peu commune à l’époque. Alors que la technique du cinéma parlant est encore balbutiante, le réalisateur remplit son film de bruits d’ambiance très convaincants. Ce procédé et les savants mouvements d’appareil contribuent grandement à l’aspect très réaliste du film. D’un point de vue technique, La chienne est une belle réussite qui préfigure la filmographie à venir du futur auteur de La règle du jeu.
Les mêmes louanges peuvent être portées au scénario et à la narration. Le drame raconté va se muer progressivement en tragédie et se nourrir des rapports de force changeants entre les personnages.
Dans le rôle principal, celui de Maurice Legrand, fonctionnaire peu apprécié de ses collègues et désaimé par sa femme, Michel Simon excelle. Maurice Legrand, isolé, fragile, n’a que la peinture qu’il pratique en amateur pour échappatoire. D’abord crédule, ce personnage va évoluer au rythme d’une écriture précise et fouillée. Michel Simon donne corps avec brio à l’évolution psychologique de son personnage et domine un bon casting duquel nous pouvons regretter le sur-jeu théâtral de Georges Flamant.
Si Maurice Legrand peint notamment son propre portrait, Jean Renoir peint celui d’une société aux rouages grippés par les faux-semblants et l’injustice et avec pour toile de fond, le désert affectif et social dans lequel le personnage erre. Libre de toute intention morale, La chienne renferme une étude sociale tout aussi efficace que fascinante et qui n’a rien perdu de sa modernité.