Voir le film

Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque dans une odyssée cabossée, où le rêve le dispute au réel, exactement sur le même principe que pour Heureux comme Lazzaro. L’image arrondie aux angles épouse les contours d’un réel à l’ancienne, et le retour pour le protagoniste dans une Italie difficile à dater, où l’éternelle classe populaire cohabite avec les vestiges de l’Antiquité qu’elle pille pour survivre.


Souvent inconfortable, l’esthétique de Rohrwacher reproduit du super 8 amateur, pour un cinéma brut, arraché à un réel qui peut lui-même à tout moment basculer vers l’onirisme et le réalisme magique. Passages en accéléré, processions carnavalesques et communautés étranges dans un palais décati composent ainsi une poésie brute, où le rythme se distend tandis que certaines séquences parviennent à retranscrire les épiphanies vécues par le jeune homme au cœur brisé. Les cavités de la terre qu’il parvient à sentir entrent ainsi en écho avec le vide de son amour perdu, et tissent un réseau où la recherche du passé trace un chemin incertain. Le regard sur les ruines d’un monde perdu – la statue suspendue, comme un clin d’œil à l’ouverture de la Dolce Vita, les fresques qui s’effacent au contact de l’air amplifient le douleur de l’individu et poursuivent cette thématique obsessionnelle chez Rohrwacher sur l’osmose entre un corps, un esprit et l’espace qu’il habite.


Le récit subit néanmoins quelques développements plus dispensables et convenus, dans tout l’arc consacré aux acheteurs d’antiquité, avec retournements et symboliques poussives sur la machinerie lors de la scène du bateau, la cinéaste semblant aussi peu à l’aise à l’extérieur des territoires connus que sa petite bande. Car dès qu’elle retrouve sa communauté où la superbe matriarche Isabella Rossellini officie, ou qu’elle investit une utopie dans une gare abandonnée, la magie opère à nouveau, jusqu’à un final proprement bouleversant qui fusionne l’homme à la mythologie.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Rumeurs Cannes 2023, Vu en 2023, Vu en salle 2023 et Cannes 2023

Créée

le 7 déc. 2023

Critique lue 1.3K fois

19 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

19
2

D'autres avis sur La Chimère

La Chimère
Sergent_Pepper
7

Ruines et idéal

Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque...

le 7 déc. 2023

19 j'aime

2

La Chimère
Plume231
4

La Vision des profanateurs de sépultures !

C'est ma toute première vision d'un film de la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher. Même si sur les plans de l'histoire et des personnages, les longs-métrages sont indépendants les uns des...

le 7 déc. 2023

16 j'aime

6

La Chimère
Cinephile-doux
7

Pilleurs de passé

Alice Rohrwacher aime les sans-grade, ceux qui vivent en marge et s'arrangent avec l'existence, sans pour autant les idéaliser. C'en est ainsi pour les pilleurs de tombes étrusques dans La Chimère,...

le 5 juil. 2023

12 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53