Ruines et idéal
Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque...
le 7 déc. 2023
19 j'aime
2
Voir le film
Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque dans une odyssée cabossée, où le rêve le dispute au réel, exactement sur le même principe que pour Heureux comme Lazzaro. L’image arrondie aux angles épouse les contours d’un réel à l’ancienne, et le retour pour le protagoniste dans une Italie difficile à dater, où l’éternelle classe populaire cohabite avec les vestiges de l’Antiquité qu’elle pille pour survivre.
Souvent inconfortable, l’esthétique de Rohrwacher reproduit du super 8 amateur, pour un cinéma brut, arraché à un réel qui peut lui-même à tout moment basculer vers l’onirisme et le réalisme magique. Passages en accéléré, processions carnavalesques et communautés étranges dans un palais décati composent ainsi une poésie brute, où le rythme se distend tandis que certaines séquences parviennent à retranscrire les épiphanies vécues par le jeune homme au cœur brisé. Les cavités de la terre qu’il parvient à sentir entrent ainsi en écho avec le vide de son amour perdu, et tissent un réseau où la recherche du passé trace un chemin incertain. Le regard sur les ruines d’un monde perdu – la statue suspendue, comme un clin d’œil à l’ouverture de la Dolce Vita, les fresques qui s’effacent au contact de l’air amplifient le douleur de l’individu et poursuivent cette thématique obsessionnelle chez Rohrwacher sur l’osmose entre un corps, un esprit et l’espace qu’il habite.
Le récit subit néanmoins quelques développements plus dispensables et convenus, dans tout l’arc consacré aux acheteurs d’antiquité, avec retournements et symboliques poussives sur la machinerie lors de la scène du bateau, la cinéaste semblant aussi peu à l’aise à l’extérieur des territoires connus que sa petite bande. Car dès qu’elle retrouve sa communauté où la superbe matriarche Isabella Rossellini officie, ou qu’elle investit une utopie dans une gare abandonnée, la magie opère à nouveau, jusqu’à un final proprement bouleversant qui fusionne l’homme à la mythologie.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Rumeurs Cannes 2023, Vu en 2023, Vu en salle 2023 et Cannes 2023
Créée
le 7 déc. 2023
Critique lue 1.3K fois
19 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur La Chimère
Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque...
le 7 déc. 2023
19 j'aime
2
C'est ma toute première vision d'un film de la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher. Même si sur les plans de l'histoire et des personnages, les longs-métrages sont indépendants les uns des...
Par
le 7 déc. 2023
16 j'aime
6
Alice Rohrwacher aime les sans-grade, ceux qui vivent en marge et s'arrangent avec l'existence, sans pour autant les idéaliser. C'en est ainsi pour les pilleurs de tombes étrusques dans La Chimère,...
le 5 juil. 2023
12 j'aime
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
618 j'aime
53