Adolf Hitler est le plus grand méchant de l'histoire si on peut dire, et en tout cas le plus universellement détesté.
Les qualificatifs ne manquent pas pour dépeindre le plus célèbre moustachu de l'histoire : "monstre", "fou". Fou, Hitler l'était probablement un peu, traumatisé, d'après les études historiques, par les combats de la Première Guerre Mondiale et d'ailleurs interné quelques temps à ce titre. Monstre, il ne l'était pas. C'était un homme. Un homme qui a commis des actes criminels et terrifiants mais qui a agit comme tout homme en conscience et avec des sentiments et en l'occurence ici pour le pire.
La Chute ne s'est pas fait que des amis à sa sortie. On lui a reproché d'humaniser le monstre. Mais précisément, seul un homme peut commettre de tels agissements criminels. Le crime est humain et tant qu'on entendra dans les médias ou dans le café du commerce que c'est un monstre, que c'est monstrueux, que c'est inhumain, on ne parviendra ni à comprendre le crime ni à le prévenir. On aura aussi reproché au film de faire l'impasse sur la Shoah, comme si la Shoah était le tout du second conflit mondial, comme si tout devait passer par elle. Or, beaucoup de gens sont morts dans ce conflit sans être même concernés par cette question. Idem, on ne présente pas les causes de la guerre, le racisme du régime en montrant des hommes en fin de courses. Mais le film ne prétend jamais à l'exhaustivité mais plutôt à illustrer la fin d'un monde, dans une temporalité très reserrée. Certains ne supportent pas de voir que des femmes et des hommes aient pu s'illusionner devant Hitler et ce qu'il incarnait. Mais précisément, il est facile aujourd'hui avec le recul de condamner alors que sans le recul, à l'époque, on pouvait être pris dans un funeste engrenage, au service d'un système totalitaire et d'hommes immoraux.
On suit les derniers jours du dictateur (fin avril, début mai 1945) ainsi que ceux de ses plus fidèles partisans, enfermés dans leur bunker, tour d'ivoire engloutie, tandis que les troupes soviétiques assiègent Berlin. Ce petit monde composé de fanatiques ou d'opportuniste mais aussi d'autres, présents par les simples circonstances assiste, impuissant, à l'inéluctable chute du IIIème Reich. On suit l'histoire à travers Traudl Junge, la jeune secrétaire d'Hitler qui avait 23 ans à l'époque - tous les personnages présents à l'écran ont existé. Le film ouvre d'ailleurs sur le témoignage de la vraie Traudl, touchant et terrible. Traudl n'était pas une fervante nationale-socialiste mais jeune et prise dans l'ivresse de ce système, elle a assisté, en fermant un peu les yeux, à bien des horreurs. Mais peut-on la blâmer ? C'est très difficile à dire. Le film se base sur de nombreuses sources historiques et des mémoires pour bâtir un portrait assez proche, sûrement, de la réalité, même si certains historiens débattent de plusieurs points présentés dans le film. La fiction ici n'a aucune place. Les faits sont graves et parfois odieux, surtout lorsque le couple Goebbels, probablement plus nazi qu'Hitler lui-même empoisonne ses 5 enfants par refus de vivre dans un monde autre que le national-socialisme.
Hitler est présenté - incarné par un Bruno Ganz véritablement habité par le personnage - comme un personnage vieillissant, malade, dans le déni de réalité. De sa main tremblotante il manipule des cartes et déplace des armées imaginaires comme un petit chef dont le pouvoir lui échappe totalement. Parfois éteint, parfois même sentimental, Hitler reste surtout un homme atteint de colères démentes et irréelles, notamment lors d'une scène avec ses généraux qui est devenue un mème sur internet. Il choque aussi par des propos alternant entre le dépit et la haine la plus viscérale, insultant le peuple allemand, le traitant de lâche, conscient aussi que demain le monde entier le détestera. Plus affectueux avec sa chienne Blondi, dont il n'ose regarder le corps mort, qu'envers ses généraux qu'il exécute sans merci, ombre de lui-même on se demande comment un homme aussi ramassé et malingre a pu inspirer une telle peur ? Et pourtant....
On assiste aussi aux conspirations, aux trahisons, à la lâcheté. Himmler qui s'enfuit et s'autoproclame héritier du Reich, Speer qui a refusé d'éxécuter plusieurs ordres du Fuhrer, Goebbels qui, au contraire, se fanatise encore plus, pris dans son propre discours manipulateur et propagandiste, un personnage détestable et immonde. Le film est donc le récit d'une chute, celle d'un régime, plus que celle d'un homme, même si l'homme en question, irradie le film du mal radical qui en émane.
Les civils sont aussi présentés mais ils ne sont pas le coeur de l'intrigue, ce qu'on pourra reprocher au film, même si tous les anonymes qui entouraient Hitler ont le droit à leur portrait dans le film. Le film est intimiste. On plonge dans les pensées de personnages pris dans la tourmante de la grande histoire. La guerre est peu montrée en tant que telle. On voit le défilé des généraux et des gradés dans le bunker mais on assiste davantage aux dialogues, aux ultimes tractactions et aux derniers soubresauts et soupirs du nazisme.
La Chute est une réussite par sa reconstitution remarquable. Elle l'est d'autant plus que le film a été réalisé et produit par des Allemands qui ont le courage de s'attaquer aux pires heures de leur histoire avec un recul et une adresse admirables. Le casting est très bon, la musique, la réalisation, souvent angoissantes et très sombres, sont excellentes. Hitler est un personnage qu'on ne comprend pas, qu'on refuse de comprendre. On le présente comme un monstre, mais ce faisant, on est incapable de mettre les mots sur le mal qu'il a fait. Comme tous les monstres, il fascine. On se dit qu'on ne pourra jamais être pareil, que le pire est derrière nous. Mais c'est oublier ce qu'Hannah Arendt appelait la "banalité du mal". Le mal sans ornière, sans limite, infusé dans une société entière. Hitler était surtout le représentant d'un système totalitaire où le mal s'était inscrit dans la normalité et le quotidien.
Il faut comprendre Hitler pour éviter qu'un jour un autre puisse prendre le pouvoir. Il faut donc voir ce film.