L'empire médiatique bâti par Amos Kyne est divisé en trois branches : un quotidien, une agence de presse et une agence photo. Le New York Sentinel est dirigé par Griffith (Thomas Mitchell), authentique journaliste en quête de scoop, Kyne Wire Service par Loving (George Sanders), habile politicien, et Kyne Pictures par Kritzer (James Craig), honnête exécutant. À la mort du fondateur, son fils Walter (Vincent Price), playboy incompétent, décide néanmoins de reprendre les rênes du groupe, en s'attachant les services d'un bras droit parmi ces trois hommes. Pour décider de celui qui héritera de ce nouveau poste de directeur exécutif, il les met en compétition : le premier qui résoudra le mystère du « tueur au rouge à lèvres », un serial killer qui compte déjà quatre jeunes femmes à son tableau de chasse, sera promu. L'aide d'Ed Mobley (Dana Andrews), ex-spécialiste des affaires criminelles au Sentinel reconverti en chroniqueur télé à succès, fait alors l'objet des convoitises de Griffith et Loving, tandis que Kritzer préfère la jouer à sa façon... en se tapant la femme du nouveau patron (la superbe Rhonda Fleming). Pour forcer l'assassin à se dévoiler, Mobley a une idée : le provoquer dans sa chronique télévisée, puis utiliser sa fiancée Nancy comme appât...
Loin des films à la gloire d'un journalisme animé seulement par la quête de la vérité, Fritz Lang brosse ici un tableau bien cynique du milieu des médias. En montrant les luttes d'influence, les manipulations et les coups bas au sein de l'empire Kyne, il met les professionnels de l'information au même niveau que le commun des mortels. Loin d'être des chevaliers blancs comme le veut l'image d'Épinal, ces hommes et ces femmes sont, au même titre que n'importe qui, attirés par le pouvoir, la réputation et l'argent. Au point de mettre en danger la vie d'une secrétaire, dans une tentative pour le moins risquée pour attraper un tueur psychopathe !
Servi par un casting de premier ordre - auquel il faut ajouter Ida Lupino en reporter sans scrupules - La Cinquième Victime est l'un des sommets de la carrière hollywoodienne de Fritz Lang. Un film parfaitement maîtrisé, haletant, osé (il y a des tas de sous-entendus sexuels quasiment explicites !) et captivant de bout en bout, à l'exception du happy end de rigueur un peu trop téléphoné.
N. B. : À noter que le titre français, « La Cinquième Victime », ne correspond pas du tout au titre original « While the City Sleeps », puisque les distributeurs de notre pays avaient jugé bon de traduire « The Asphalt Jungle », le film de John Huston sorti en 1950, par « Quand la ville dort »... !