Le criminel qui terrifie les New-Yorkais « le tueur au bâton de rouge à lèvres », s’attaque aux femmes et ne semble pas prêt de s’arrêter. À la mort de son père, Walter Kyne hérite de l’empire médiatique porté par le quotidien « The Sentinel ». Il lance un concours entre trois de ses collaborateurs pour trouver le meurtrier, avec à la clé un poste de directeur exécutif. Griffith, un des rédacteurs candidat au poste, requiert l’aide du journaliste Edward Mobley, proche du commissaire qui prend en charge l’enquête.
Avant-dernier film de la période américaine de Lang, La Cinquième Victime compte parmi ses films sur la vie moderne, témoignant du regard d’un émigré qui a intégré les codes de la société dans laquelle il vit. Le regard cinglant du réalisateur sur son époque met en évidence l’opportunisme de tous ceux qui veulent le pouvoir quoiqu’il en coûte. Le film forme un diptyque avec L'Invraisemblable Vérité qui sortira l’année suivante, Lang y épurant sa mise en scène. Il refuse la stylisation et signe, d’après ses dires, un « document ethnologique ». En 1964, au cours d’un dialogue avec Jean-Luc Godard dans l’émission télévisée Cinéastes de notre temps, Fritz Lang évoquait sa vision du metteur en scène : « je crois qu’il doit être un peu psychanalyste ». C’est précisément cette vision qu’il insufflera dans certaines de ces œuvres américaines comme La Femme au portrait (1944), La Rue rouge (1945), et Le Secret derrière la porte (1948). S’il met de côté l’expressionisme pour La Cinquième Victime et L’Invraisemblable Vérité, il n’en demeure pas moins un analyste qui met en lumière les tares de son époque.
Le regard que pose le cinéaste sur tous les personnages apparaît extrêmement pessimiste et implacable. Chez Lang, les héros et les tueurs ne sont pas si différents, obéissant tous à leurs pulsions. Insidieusement, il introduit l’idée, déjà présente dans M le Maudit, que chacun est potentiellement un meurtrier. C’est là l’intérêt de la mécanique mise en place par le réalisateur : donner au spectateur une illusion morale. En dévoilant le meurtrier dès le début du film, il propose la vision brute, sans artifice, de la noirceur du genre humain réduit à ses pulsions. De fait, lorsque la caméra s’arrête sur la société et son fonctionnement, les spectateurs épousent le parti des journalistes. En réalité, le principal protagoniste, Mobley n’est pas explicitement dans la course au pouvoir mais il n’en est pas moins vicié. En s’adressant à l’assassin, par l’intermédiaire de l’écran de télévision, il prouve qu’il le comprend mieux que personne. Son discours, qui attise la peur et provoque le tueur, révèle ses propres pulsions.
L’œuvre fait donc la synthèse du regard désillusionné de son auteur sur l’humanité, après plus de vingt ans passés aux États-Unis. Depuis son arrivée, Lang subit la méthode Hollywoodienne et, en 1936, il se voit dépossédé du montage final de Furie. Il fera par la suite les frais de la censure et échouera à s’émanciper des producteurs. Son œuvre américaine, surtout marquée par les films noirs et les intrigues policières, se fait le grinçant écho de son époque. Forcé de s’intégrer dans un système qu’il ne cautionne pas et pire encore, qu’il alimente, Lang se questionne sur sa place en tant qu’artiste. Dans la Cinquième Victime, il évoque en filigrane la sinistrose qu’est devenue sa vie et donne un constat amer sur les personnages et leurs aspirations. Il quittera le pays après avoir réalisé L’Invraisemblable Vérité et reviendra en Allemagne où il restera jusqu’à la fin de sa carrière.
PS : Je tiens à préciser que je ne suis guère un plagiaire. J'emprunte la formule qui sert de titre à cette critique à Jules Renard, j'ai simplement remodelé sa phrase à ma guise.