Une bataille épique n’oppose pas nécessairement de prestes elfes et des héros au grand cœur aux forces obscures d’un démon à l’œil vif. Une imagination grossière transformera facilement les fourmis légionnaires en une armée d'orques. En effet, pourvu que narration et musique s’y prêtent, le sédentaire moderne, sorte de reine des termites obèse, véritable épave sur son canapé, reclus dans la salle obscure, joint naturellement (par mollesse) la cause des bâtisseurs assiégés par une horde sauvage. C’est que les fourmis magnans incarnent et décharnent d’antiques peurs partagées par toute civilisation qui travaille la terre. Ainsi, le sol de Rome trembla sous les sabots des Huns montés, le moine redoutait derrière les murs de son abbaye le vent du Nord, la dynastie des Jin vacilla sous le souffle Mongol, le fermier craignait la colère mouvante des Hautes Plaines, la République Populaire de Chine s’allia aux autorités campées du Tibet contre les nomades, les soviétiques placèrent les âmes errantes de la Taïga dans les centres du Goulag. Récemment, la hantise d’un virus voyageur poussa les termites aveugles à s’enfermer dans leur citadelle, à boucher à tout prix toute issue avec de la salive. Nul besoin du feu d’un énorme dragon – on a vu ce que les fourmis font de ces créatures couvertes d’écailles – pour menacer le confort du termite : les pluies diluviennes d’un climat étranger s’en chargeront. Celui qui construit pour l’éternité devant lui ne doit pas oublier que sa meilleure bâtisse est faite d'argile. Et que si les isoptères peuvent communiquer par vibrations, les humains mondiaux sont eux dans une tour de Babel.