La Cocina vaut principalement pour son impressionnant plan-séquence dans les cuisines en surchauffe (on sent que le réalisateur Alonso Ruizpalacios a vu The Chef, le masterpiece en la matière), qui virevolte avec agilité entre les serveurs qui trébuchent et s'explosent au sol avec leurs assiettes, entre les cuistots qui manipulent (trop) vite les couteaux aiguisés au ras de leurs doigts, entre la petite nouvelle qui zigzague pour aller chercher du poulet au congélateur, entre le chef de service qui hurle sur tout ce beau monde, entre les machines qui n'en font qu'à leur tête (on ne vous spoile pas, mais la machine à Coca Cherry nous a fait vraiment rire !) et au-dessus de tout ce tumulte : l'imprimante à commandes, flegmatique, qui continue de balancer frénétiquement ses tickets à un rythme infernal. Bienvenue dans un asile de fous où toutes les camisoles blanches emprisonnent des travailleurs émigrés sans papiers qui n'ont pas choisi d'être là, qui essayent de garder le sourire dans ce Purgatoire constant, qui se cachent d'un public d'américains venus chercher leur burger en se moquant des petites mains sous-payées et maltraitées qui l'ont préparé. On suit donc tout ce beau monde, et plus particulièrement un couple naissant, entre la serveuse américaine et le cuistot émigré (Rooney Mara et Raul Briones), dont on hésite toujours à savoir si Monsieur est réellement intéressé par cette relation, ou juste par la Green Card qui est en jeu. Si l'on est plus que convaincu par l'histoire d'amour ambigüe, par la dénonciation des conditions de travail catastrophiques des restaurateurs (valable au-delà des États-Unis), par le climax final qui nous a pris par surprise, et par une dernière scène vouée à l'interprétation (on y reviendra), il faut quand même passer sur une durée excessive de 2h20, sur une esthétique qui crâne un peu (les "effets figés" au début du film ressemblent à un bug du projecteur, le filtre bleu sur la scène d'amour n'est pas indispensable, le format d'image 4/3 n'est pas justifié à part l'argument rapide "c'est pour rendre l'atmosphère de la cuisine plus claustro", et le noir et blanc, disons-le tout de suite, n'est pas beau), sur un insupportable cliquetis en BO (les tickets qui sortent de l'imprimante) qui sont censés nous stresser, mais nous soulent carrément au bout de cinq minutes, et sur une scène d'explication d'un rêve qui dure étrangement longtemps (et ne sert finalement à rien). Ne vous inquiétez pas, Rooney Mara est dans une cuisine, il y a pas mal de cheesecakes qui transitent, mais La Cocina ne vous refait pas la scène de la tarte de Ghost Story (ouf !), on gagne au moins cela. Pour ceux qui clignent des yeux sur la dernière scène, petite théorie qu'on propose : comme la lumière verte de Gatsby Le Magnifique,

le clignotement vert qui éblouit le cuistot représente son Idéal inatteignable, son désir de Green Card (verte, donc) qui vient de s'envoler avec l'avortement de sa fiancée (et son pétage de plomb qui a suivi).

On aime décidément bien le fond (plus que la forme) de ce film qui dénonce le mal-être des petites mains des cuisines, en jouant de la virtuosité de ses plans-séquences, et en essayant de ne pas se noyer dans son Coca Cherry.

Aude_L
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le 18 sept. 2024

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