La colère des profs de latin
Il y a ce moment difficile, dans la vie d'un prof de latin, où il faut détricoter les "adaptations" modernes de la mythologie, expliquer que non, Pégase n'est pas l'allié d'Hercule comme le conte Disney, que bien des aspects de Percy Jackson sont tronqués... et pour cela, il faut oublier les délicieux péplums de son enfance (avec leurs Méduses en pâte à modeler... leurs scorpions impossibles... leurs chouettes de métal qui hululent comme un R2D2 à l'adorabilité amplifiée !), les Alix au dessin soigné et juste, pour se farcir quelques bouses afin de répondre, point par point, aux interrogations anxieuses du latiniste de 5e en quête du Graal : la possession absolue de chaque recoin de la mythologie gréco-latine.
Pour toutes ces raisons, lorsqu'un collègue arrive, la tête basse, avec le dvd de la "colère des Titans" qu'un sixième lui a prêté dans un élan d'enthousiasme, on se dévoue pour le regarder à ses côtés, en espérant que, dans la marée de vomi numérique, il y aura peut-être quelque chose à sauver, ne serait-ce qu'un éclat de rire.
Las ! Voilà encore un de ses films au goût de bouillie sans relief, malgré sa 3D. On y patauge dans une armada de fusils de Tchekhov pétaradant dans une partition capharnaüm dont les grands relents pompier empruntent aux plus mauvaises compositions d'Hanz Zimmer. On y rebrasse des noms de héros et de dieux, des silhouettes de monstres mythologiques, dans le vague espoir que, de ces clins d'oeil mythologiques, surgira un peu de grandeur antique. On contemple d'un oeil morne ce mélange terne - j'imagine les cris outrés des latinistes que je gave d'histoires à chaque fin d'heure- des caractéristiques des chimères, du rôle des cyclopes et du minotaure, des relations entre dieux olympiens, du rôle des héros... tout cela pour créer un univers pseudo-grec où l'Olympe s'effondrerait, faute de savoir entretenir les croyances des hommes et de distinguer, dans son esthétique cliché, ce qui est grec, crétois et romain. Cette idée d'une croyance en friche (ou même celles des tensions internes aux Dieux suite au grand parricide originel) aurait pu être intéressante, si elle ne prenait pas source dans un univers dont le coeur-même repose sur la foi, la peur du divin, la lutte contre cet hubris trop humain qui pousse les hommes à se mesurer aux dieux... Curieuse vision moderne imposée à un monde façonné par ses fables et qui, ici, les foule aux pieds sans une once de respect.
Ne reste plus qu'à soupirer devant un scénario linéaire sans surprise (trouver objet caché, aller au prochain lieu, recruter nouveau co-équipier, s'équiper, aller au nouveau lieu) où les personnages fadasses (à quoi bon refiler à Andromède une tenue de guerrière si, après une simple volée de flèches, son pouvoir guerrier consiste surtout à faire du charme à Héphaïstos ?) et caricaturaux (le héros-père de famille trouvant sa force dans l'amour de son fils, le comique aux allures de rasta, tout juste bon à se planquer dans la boue lors de la bataille finale, la princesse jolie mais forte, secrètement amoureuse du héros qu'elle aurait dû épouser, le duo de frères divins qui se la joue Gandalf versus Saroumane) exhibent une capillarité à l'inventivité étonnante dans un monde de péripéties sans suspense où l'on s'inquiète plus de savoir combien de temps on va devoir supporter des incrustations numériques laides que de connaître la suite de leurs aventures. Les personnages sont à peine esquissés - tout repose sur leur nom, comme si la gloire de celui-ci suffisait à créer un fond de personnage ; même le trio olympien, Nighy-Fiennes-Neeson, ne parvient pas à créer le cabotinage nécessaire pour rendre sa présence à l'écran intéressante -, la tension narrative est inexistante, le rythme répétitif (un dialogue voué aux oubliettes / une scène d'action / un pseudo-dialogue / vite, une explosion antique / insérer ici une statue pour prouver que cela se passe en Grèce / cela fait longtemps que nos héros n'avaient pas couru en vain / ah tiens, si on imitait un sentaï en combinant des attributs divins pour créer une arme ultime qui rayera l'oesophage du Chronos / ah zut, on avait oublié qu'on a un canasson ailé aux allures de percheron à caser pour une scène aérienne ridicule) et l'esthétique assez laide : malgré la débauche de moyens, il est assez triste que les décors soient sans inventivité (il y avait de l'idée, au départ, dans ce labyrinthe, quel dommage qu'il soit sous-exploité à part pour une scène tentant de justifier l'acquisition de lunettes 3D), la lumière hideuse et les effets spéciaux inintéressants.
Au final, on s'ennuie surtout beaucoup : seul la présence réconfortante d'un collègue aussi dépité que soi permet de supporter ce film qui n'a même pas l'audace d'être un bon nanar au second degré délectable, juste un gros gâchis financier - tant d'argent qui aurait pu servir à restaurer les copies des peplum de notre enfance voire, soyons fou, créer des postes de professeurs de latin armés de leur goût pour raconter les plus belles légendes antiques et leurs variations croustillantes...
Je remercie, malgré tout, mon Indy tardo-antique pour ce visionnage : rien de tel qu'un navet pour multiplier à plaisir des remarques acerbes qui font passer plus vite les "heures de trou" pré-conseils de classe... Si les critiques pouvaient se dédier, celle-ci te reviendrait de droit !