Ils m’ont dit de m’essouffler là-haut sur la colline…
(Série "Dans le top 10 de mes éclaireurs : Taurusel)
The Hill. Comme bien souvent, le titre original est chez Lumet d’une densité parfaite. Tout se résume en effet à cette colline, construction artificielle au sein d’un camp d’emprisonnement, que les détenus sont condamnés à gravir et redescendre en guise de châtiment. Dévorant ses petits Sisyphe, la colline est l’archétype de l’absurdité, de l’effort inutile ; la discipline dans ce qu’elle a de plus arbitraire et qui gangrène tout cet univers grillagé.
Après le pessimisme d’une humanité globale vouée à s’entre-atomiser dans Fail Safe, Lumet revisite la même thématique en l’incarnant : à la cellule anti atomique du président succède celle de soldats, dans la chaleur, la sueur et les larmes.
La foule est partout, normée, rangée, en exercice. Même les repas se prennent au trot. L’idée est limpide : briser l’individu, le fondre dans un corps collectif à coup de beuglements, d’humiliation et d’épuisement. Les séquences d’ouverture, particulièrement longues, instaurent avec une grande efficacité cet implacable système.
Lumet, qu’on a connu plus sobre, opte ici pour une mise en scène virtuose et très formelle. L’ouverture à la grue occasionne un plan séquence d’anthologie, de la colline au camp tout entier, annonce d’une première partie fondée sur le plan général et la perdition des nouvelles recrues dans un espace prêt à les broyer de toute part.
On a rarement vu Lumet à l’œuvre avec des foules : c’est ici magistral, notamment dans la scène de l’émeute, où l’occupation de l’espace confiné, la variété des angles de vues et la distinction entre chefs et les détenus est menée de main de maitre.
Progressivement, les plans se resserrent et à mesure qu’ils se délitent, les individus sont isolés, prennent chair, souvent en contre plongée.
Si le ton monte, c’est pour mieux se transformer en aboiement. Si la tension s’exacerbe, c’est pour diviser les co-détenus. La lâcheté, le racisme, le courage, la haine s’entremêlent autour du noyau dur qu’est Roberts, le personnage joué par un Sean Connery viril et minéral, encaissant avec dignité, durcissant son regard en même temps que celui du spectateur.
La hiérarchie elle-même se voit affectée par la propagation du mal. A la manière dont McQueen l’explorera dans 12 years a slave, Lumet questionne ici les ravages du pouvoir absolu sur les autres. Les victimes en sont aliénées (à l’image de cette poignante évolution du détenu noir, qui finit par jouer au singe avant de se déclarer civil, grain de sable dans l’engrenage), les matons ravagés, gravissant eux-mêmes la colline de nuit.
[Spoils]
Comme souvent chez Lumet, c’est la dynamique du collectif, donc du pire, qui l’emporte. Alors que semble se dessiner la possibilité de l’émergence d’une enquête et d’un contact avec l’extérieur, le réalisateur pousse ses personnages toujours plus profondément dans leur cellule. Là, Roberts, immobilisé, assistera au déchainement de violence ruinant tout espoir de retour d’une justice dépassionnée dans ce monde animal.
Anti 12 hommes en colères, tant par sa dynamique que son pessimisme radical, The Hill est un coup de poing magistral.
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