Run to the hills, run for your lives
Lors de la seconde guerre mondiale l'armée britannique dresse, en territoire libyen, un camp de redressement pour rééduquer les soldats de sa majesté qui sont sortis du rang. Au programme : brimades, discipline de fer et exercices sous le soleil de plomb. Parmi les sévices de ce club med d'avant-garde il y a : la colline, énorme monticule de sable que les pensionnaires doivent monter et redescendre, inlassablement jusqu'à ce qu'on leur dise d'arrêter.
L'Adjudant-chef Wilson (Harry Andrews qui s'impose naturellement dans le rôle), qui dirige le camp d'une main de fer, attend impatiemment le prochain convoi de prisonniers. Parmi eux se trouve en effet Joe Roberts (Sean Connery, surprenant), un sous officier à la réputation sulfureuse suite à un refus d'obéir aux ordres, en plein combat, de ses supérieurs. Wilson décide de confier la cargaison de récalcitrants au sergent Williams (Ian Hendry simplement parfait en connard absolu), un jeune loup aussi ambitieux que cruel.
Sidney Lumet signe un film de guerre sans un seul combat, sans un seul coup de feu. Plus que l'atrocité des batailles Lumet préfère s'attaquer à l'absurdité même du système militaire, cette absurdité qui pousse les personnages à se détruire les uns les autres pour des concepts qu'ils ont tous déjà oublié. L'humaniste convaincu qu'est Lumet s'attache à Joe Roberts, électron libre que l'on veut faire plier sous la discipline et l'usure physique. Un personnage fort campé par un Sean Connery charismatique et à contre-emploi.
En 1965 l'acteur écossais est en effet une star mondiale grâce à son interprétation de l'agent 007, une figure virile et conquérante qui valorise la nation anglaise.
Ici on découvre un Sean Connery maltraité et vulnérable, à travers ce personnage Lumet s'amuse à molester le plus célèbre des agents secrets britannique et donc le dogmatisme de l'armée anglaise.
Si le film se centre volontiers sur Joe et sa révolte contre l'autorité il n'oublie pas pour autant ses seconds rôles. Des personnages travaillés et convaincants qui sont loin de faire de la figuration. On soulignera par exemple la prestation, emprunte de folie douce, d'Ossie Davis.
Pour bien accentuer la pénibilité de la vie au camp le film adopte un découpage assez inhabituel, en effet l'arrivée au camp occupe presque 40 minutes de film. Une séquence interminable comme l'est cette journée pour les 6 nouveaux arrivants. Aucun détail ne sera oublié, depuis la mascarade de la visite médicale jusqu'aux premières punitions disproportionnées. Une séquence très longue mais d'une grande force.
La caméra de Lumet distille des images d'une puissance incroyable (le plan d'ouverture du film est juste fabuleux) et l'impeccable montage accentue la dureté des situations. Les dialogues sont ainsi aussi percutants et cruels que les épreuves physique. Le dynamisme de la mise en scène prouve, s'il en était encore besoin, la modernité et l'intelligence d'un cinéaste en pleine possession de ses moyens.
On atteint donc un degré d'aliénation effrayant que seul Stanley Kubrick réussira à reproduire avec son Full Metal Jacket.
Une fois cette longue introduction passée le film enfonce le clou via un scénario sombre et désespéré qui ose gratter là où ça fait mal. Les travers des institutions sont alors exposés à la vue de tous : une hiérarchie qui se voile la face, une destruction de l'humanité des personnages pour en faire des machines à tuer dociles et efficaces et un système rigide où l'espoir n'est qu'un leurre. La violence et la souffrance physique laissent peu à peu place à la souffrance psychologique, qui se trouve être encore plus insoutenable.
Lumet l'humaniste est aussi Lumet le pessimiste avec cette seconde partie de film qui plonge de plus en plus dans la folie. Le cinéaste nous montre, encore une fois, qu'il maitrise les espaces clos comme personne avec des séquences tendues à l'extrême, aux conséquences dramatiques.
Sydney Lumet signe là un de ses meilleur film, une histoire éprouvante et diablement humaine dans laquelle il démonte avec pertinence le système militaire de l'intérieur. La Colline des hommes perdus est un film qui vous attrape à la gorge dès ses premières minutes, pour ne vous laisser respirer qu'une fois arrivé au générique de fin. Une fin à l'image du film : glaciale et inoubliable.
Un grand film de plus au crédit d'un auteur majeur du Cinéma.