Corpus Christi est le titre international de La Communion, de Jan Komasa, et il résume parfaitement ce qui se trame dans le film. Il y est question du Christ, mais par les chemins de traverse. Le cinéaste est un jeune quadra polonais qui n’a pas connu les régimes les plus durs de son pays. Néanmoins, il produit une œuvre assez contestataire d’une certaine réalité sociale de son pays, œuvre qui montre combien la corruption politique et le fait religieux ont encore une emprise totale sur la vie des citoyens.


On fait la connaissance de Daniel (Bartosz Bielenia, phénoménal) dans un centre de rétention pour jeunes délinquants. Très vite, le ton est donné. Dès que le surveillant de l’atelier bois où ils se trouvent a le dos tourné, les jeunes se mettent à plusieurs pour perpétrer un viol collectif sur un des leurs. C’est Daniel qui fait le guet. Le même Daniel qu’on retrouve doux comme un agneau dans la séquence d’après, comme enfant de chœur du Père Tomasz (Lukasz Simlat) pour la messe que les jeunes suivent avec ferveur. La juxtaposition des deux scènes est d’autant plus troublante que Bartosz Bielenia a une sorte d’aura hypnotique que ses yeux très clairs et exorbités souvent filmés en gros plan accentuent, aura qui nimbe ses actions d’une sorte de grâce. De fait, Daniel semble réellement habité par une foi plus sincère qu’opportuniste, il souhaite devenir prêtre, ce qui lui est évidemment interdit compte tenu de son lourd passé judiciaire.


Daniel est envoyé travailler à la menuiserie d’un patelin éloigné. Plutôt que de se soumettre à ses obligations de libéré conditionnel, il se rend à l’église du village, un col romain de prêtre, volé au père Tomasz, dans sa valise. Il vole également l’identité de ce dernier et, par un concours de circonstances, prend la place du curé de l’endroit. Commence pour lui une vie de prêtre hors-sol où il annone les prières de confession directement du smartphone, où il harangue les foules de manière totalement anticonformiste, et où il donne l’extrême-onction aux mourants avec plus de compassion que de rites sacrés. La foule de ses fidèles est hypnotisée par ses manières de gourou, et devient de plus en plus importante.


Jan Komasa opte pour une mise en scène précise et sans effets inutiles. Le charisme de Daniel est un atout essentiel du film, et se suffit presque à lui-même pour faire passer le message de l’ambiguïté de la foi telle que le cinéaste le ressent : Daniel est embarqué dans des actes très violents, mais est également capable de la plus grande empathie, la plus grande compassion envers « ses » paroissiens. Il est le moins ascétique de tous (voir la nuit de débauche qu’il s’offre lors de sa sortie du centre), mais il est également celui qui semble être le plus touché par la grâce divine. Sa dimension quasi-christique, puisque c’est de Corpus Christi qu’il s’agit, est également portée par son rôle dans le trauma collectif du village ayant perdu six jeunes dans un accident de voiture. Daniel fait office de guide spirituel face à des villageois consumés par la haine de la veuve du chauffeur, tout en se prévalant de la piété la plus pure. Il est question de faute, de punition, de pardon, mais également de rédemption en ce qui concerne ce délinquant qu’on a vu dans la violence.


Le cinéaste questionne ainsi avec intelligence la pratique de la religion catholique dans son pays, où il y aurait une appétence pour la forme, et non pour le fond. Comme dit le curé de la paroisse lui-même , « beaucoup viennent à la messe, mais peu prient ». Il questionne aussi le politique, les pratiques de corruption qui semblent encore gangrener la Pologne.


La Communion est un beau film qui ne dépare pas de ceux de ses immenses compatriotes, Pawel Pawlikowski (Ida, Cold War), et Jerzy Skolimovski (11 minutes, Deep End, Essential Killing) pour ne citer qu’eux. Les choix de cadrage sont justes, avec des plans souvent serrés sur les protagonistes, et l’image de Piotr Sobocinski Jr. arrive à sublimer des intérieurs et des extérieurs tous simples avec une lumière toujours judicieuse. Sélectionné pour représenter la Pologne aux Oscars pour le prix du meilleur film étranger, La Communion n’a pas résisté à la tornade Parasite, sans pour autant démériter.


Retrouvez aussi cette critique sur notre site LeMagduCine

Bea_Dls
9
Écrit par

Créée

le 9 sept. 2020

Critique lue 523 fois

Bea Dls

Écrit par

Critique lue 523 fois

D'autres avis sur La Communion

La Communion
AnneSchneider
9

De l’exclu à l’élu

Au carrefour du superbe « Chemin de croix » (2014), de Dietrich Brüggemann, pour le mysticisme violent d’un être encore adolescent ou tout jeune adulte, dans l’Europe actuelle, et de « La Prière »...

le 9 juil. 2020

25 j'aime

8

La Communion
EricDebarnot
7

Une place sur la terre

Accueilli avec beaucoup d'éloges dans les festivals et sélectionnés pour concourir aux Oscars, "la Communion" ("Boze Cialo", soit "Corps de Dieu" en version originale !) fait a priori assez peur :...

le 10 mars 2020

20 j'aime

14

La Communion
JKDZ29
8

Chemin de foi

Bien farceur peut être le destin. Nous menant vers des voies parfois insoupçonnées, il peut mener à de véritables révélations. Le destin n’a certes pas réservé à La Communion l’obtention de l’Oscar...

le 4 mars 2020

20 j'aime

Du même critique

Les Poings contre les murs
Bea_Dls
9

Punch drunk Love

Ben ouais, notre héros abruti de violence s'appelle Love, ce qui ne doit pas être un hasard... Mais revenons à nos moutons, ou plutôt nos brebis...galeuses. Le film, bizarrement appelé les poings...

le 6 juin 2014

35 j'aime

5

Tangerine
Bea_Dls
9

LA Confidential

Si on devait retenir une image de Tangerine, c’est celle-là : Sin-Dee Rella ( !), de dos, ses pauvres collants ruinés, ses bottes usées claquant sur le bitume de Los Angeles au rythme d’une...

le 28 janv. 2016

32 j'aime

3

Irréprochable
Bea_Dls
9

Les Racines du Mal

Au fur et à mesure que le film avance, Constance (Marina Foïs), l’héroïne d’Irréprochable, héroïne si on peut dire, semble gagner dans sa chevelure blonde (« tu t’es prise pour Catherine...

le 12 juil. 2016

29 j'aime

2