La Peur de la meute : crainte des hommes, lutte des classes et fatalité de l'âge adulte

(Critique V2)

Introduction

Je réécris cette critique car mes avis et analyses changent selon les visionnages, le film étant sujet à plusieurs interprétations, même si des thèmes récurrents apparaissent à chaque fois. Les chapitres ci-dessous sont des avis tels qu'écrits à chaud selon les années sur mes listes.


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La Peur de la meute (premier visionnage de 2016) :

La Compagnie des Loups est un film fantastique (au sens propre comme au figuré) qui mélange plusieurs contes, dont la version de Charles Perrault sur Le Petit Chaperon Rouge et autres histoires véhiculant morale et valeurs souvent par l'intermédiaire de la terreur, grâce au loup, figure millénaire.


Bien sûr, comme le film décrit un rêve, on a donné des sens cachés ou psychologiques au film (comme au conte de Perrault), même s'il n'est pas explicite - mais la bande-annonce en français donne sa propre interprétation. Rien que le choix des acteurs (Sarah Patterson pour Rosaleen au chaperon rouge, Angela Lansbury dans le rôle de la grand-mère - magnifiquement interprété d'ailleurs) peut nous faire aller dans cette interprétation.


Quelle est cette interprétation ? J'espère ne pas trop spolier, sachant que ça fait partie du speech du film (et sur la jaquette du DVD) ; tout simplement que l'Homme est un loup pour l'Homme. Le personnage principal étant une adolescente finissant par tomber nez-à-nez avec d'autres loups, cette dernière finit par donner sa propre vision des choses et de l'humanité.

La scène de la femme-louve (joué aussi par Sarah Patterson) retournant dans le monde souterrain grâce à un puits pourrait être interprété comme le désir de retourner en enfance, ou de rester dans l'adolescence, où l'on peut profiter de la jeunesse sans avoir trop de responsabilités ou de limites (étant donné que la majorité des loups dans le film sont des adultes, et que ces mêmes loups finissent par envahir la chambre de Rosaleen à la fin du film). Je pense que le film veut nous dire que le passage à l'âge adulte peut être très bouleversant pour certains ; Rosaleen semble s'apercevoir que le monde des adultes est cruel, bestial, sombre, d'où la meute de loups l'attaquant à la fin. Le début semble aussi indiquer qu'elle ne veut pas quitter l'enfance, enfance (ou psyché) brisée par les créatures qui souillent son intégrité et saccagent toutes ses fondations.

La citation à la fin du film parle d'ailleurs de la bête enfouie en chacun de nous, et de toute la cruauté que chacun d'entre nous peut ressentir tout au long de la vie. Et tout est fait dans ce long-métrage pour qu'on le comprenne, même si toutes les sous-intrigues ne le présentent pas forcément de manière égale. La Compagnie des Loups garde une musique, des décors et une atmosphère un peu sombres, mais qui hypnotisent et donnent envie de le visionner.


C'est personnellement un film que j'aime revisionner, et qui permet de nous ouvrir les yeux : nous sommes tous dans une forêt, cernés par des loups aux regards avides.

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Lutte des classes et refus de grandir (visionnage de 2020) :

J'avais presque oublié le côté fantastique et onirique du premier rêve de Rosaleen (et dont une des poupées est à l'effigie de la grand-mère, qui meurt "cassée" comme une poupée de porcelaine à la fin).


Le premier sketch possède la scène de transformation en loup-garou la plus effrayante (mais aussi la plus kitsch) de l'histoire du cinéma à mes yeux.


Mon grand-frère m'a d'ailleurs aidé à voir d'autres détails et évidences : l'histoire de la sorcière enceinte d'un marquis adultère et vient se venger à son mariage est la même que celle de la grand-mère au début mais inversée (une femme pauvre se venge d'un riche dans l'un tandis qu'un riche loup-garou veut se venger d'une pauvre au début).


Et si le chasseur loup-garou pourrait être le fils de la sorcière, dans ce cas la louve-garou jouée par Sarah Peterson serait la mère du bâtard du prêtre (celui qui achète une potion au diable).


Et si on fouille et refouille les détails, on pourrait penser que la grand-mère de Rosaleen serait en fait une wiccane (une sorte de sorcière) puisqu'elle a des artefacts et des objets rituels chez elle, plus une peau d'hermine vivante.


Bien sûr, il y a des défauts à ce film : certains effets spéciaux mal vieillis (des têtes et des loups en caoutchouc ; des animaux et une voiture qui n'ont rien à faire dans une forêt occidentale du 18e siècle ; une hermine bizarre chez la grand-mère, etc.)


Mais parmi les bonus du film, on a : le casting voix VF (Richard Darbois, Luc Amet, Pierre Hatet), le casting tout-court (Sarah Peterson, Angela Lansbury, David Warner, etc.), la musique délivrant bien une atmosphère onirique/psychanalyste, les décors très travaillés, etc.


Et que dire de la dernière histoire racontée par Rosaleen, qui fait comprendre que la louve-garou représente son envie de rester adolescente voire enfant (puisque mi-louve mi-humaine), l'âge adulte étant représenté par des loups ou des hommes oppressants (d'où la scène où elle retourne dans le puits comme pour retourner en enfance).


Et quand les loups finissent par attraper Rosaleen dans la "vraie vie", c'est symbolique de la fatalité de l'âge adulte.

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Lecture féministe et inéluctabilité de l'âge adulte (visionnage de 2025) :

Assez similaire à Labyrinthe de 1986 quand on y pense, du moins pour ce qui est de la métaphore de la maturité (et je ne serais pas surpris que le film de Tristar ait copié sur La Compagnie des Loups, vu que ce dernier est sorti deux ans plus tôt).


Après, je comprends mieux pourquoi certains de mes éclaireurs n’aiment pas ce film : il faut avouer que la narration avec rêves et récits imbriqués les uns dans les autres rendent l’interprétation assez opaque voire confuse pour certains pour eux (alors que c’est censé être métaphorique et entremêlé pour offrir une certaine cohérence). Faut pas oublier que Rosaleen est clairement grippée au début et qu’on assiste donc à son songe fiévreux inspirée de sa chambre d’enfant.


Cela peut donc excuser (ou non) certains anachronismes comme la victoire du 20e siècle au 18e et même des anagéographismes (des « migales », des serpents gros comme des boas constrictors, des iguanes dans une forêt de l’hémisphère Nord). Mais ces derniers sont censés être symboliques (rêve fiévreux d'une fille qui ne veut pas grandir).


Si certains contes peuvent paraître ridicules ou pas assez travaillées au début, c’est en réalité pour donner une lecture plus ou moins féministe en s’inspirant du Petit Chaperon Rouge de Perrault (les hommes sont tous des bêtes). On plonge ensuite dans un propos sur la lutte des classes (les loups sont souvent des riches commerçants ou des nobles, tandis que les autres humains sont des paysans, des prêtres ou des forgerons).


Il n’y a que le récit la femme-louve conté par Rosaleen qui permet de faire plus de liens avec les récits précédents - récit qu'elle développe par sympathie nuancée pour le loup fils du marquis et sa mère, après avoir connu un peu mieux ces derniers. Bien que ces derniers soient des prédateurs qui doivent leur pouvoir à priori au Diable, ils restent humains ou naturels, déçus par la vie et les hommes et obligés de survivre dans le sang et la violence.


Le récit de la femme-louve me donne encore une fois l’interprétation comme quoi tout ça illustre la volonté de Rosaleen de rester une enfant, et elle passe ensuite à une résignation fataliste sur l’inéluctabilité de l’âge adulte. D’où le symbole de la meute de loup qui vient détruire son sanctuaire de jeunesse à la fin.


On rejoint toutefois la lecture "féministe" du conte du Chaperon rouge de Perrault à la fin lors du générique avec la morale donnée la grand-mère, bien que l'auteur masculin donnait plutôt un conseil sécuritaire aux lectrices (même si l'une peut très bien rejoindre l'autre). Attention, retranscription approximative de ma part :


Jeunes filles, soyez très avisées. Plus vous serez jolies, plus vous serez en danger. Car derrière les plus belles paroles, se cachent les dents les plus cruelles.
Darevenin
9
Écrit par

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Créée

le 13 févr. 2017

Modifiée

le 3 févr. 2025

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Darevenin

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