Second film de Neil Jordan, La compagnie des loups (1984) sort dix ans avant Entretien avec un vampire et le révèle déjà au grand-public. Jordan était d'abord un écrivain et est arrivé dans le monde du cinéma grâce à ses liens avec John Boorman (Délivrance) et des scénarios qui n'ont parfois pas aboutis à l'écran. Comme pour Barker, une adaptation très décevante d'un de ses textes l'amène à prendre la réalisation en main. Contrairement au réalisateur d'Hellraiser, Jordan pourra persévérer et imprimer son style unique.


La compagnie des loups se propose comme une balade onirique travaillant un vaste héritage, le plus proche dans le temps étant les films de la Hammer. Il évoque surtout les contes les plus fameux de l'imaginaire collectif ouest-européen, amalgamant La Belle et la bête (conte populaire transmis oralement pendant au moins treize siècles), les œuvres de Perrault ou des frères Grimm. L'inspiration principale est du côté du Petit Chaperon Rouge. Pendant toute son enfance et son adolescence, Rosalee demeure détachée du monde extérieur et sous l'emprise de sa grand-mère (Angela Lansbury de Arabesque).


Par ses enseignements 'délirants', celle-ci crée la peur puis nourrit la méfiance de Rosalee envers les hommes. Ses contributions ont un versant pratique très bien défini, notamment en ce qui concerne les signes du loup. De cette manière, Jordan et son équipe proposent à la fois un univers merveilleux au sens du conte traditionnel (mais aussi une sorte de 'trip') et une sorte de film-thérapie potentiel en lorgnant vers la démonstration psychanalytique. La compagnie des loups crée la tension autour de l'éveil sexuel, avec le lot de refoulements, de dénis et de contradictions inconfortables qu'il charrie.


Explorant tout ce programme par un cortège de visions, le film est largement déconnecté des schémas narratifs traditionnels. Il traîne toutefois certains blancs de ce côté-là. L'emprunte d'un génie propre inonde le film, éventuellement plus qu'elle ne l'irradie. La compagnie des loups a de grands mérites et pose un auteur brillant (avec déjà tout ce langage autour de la bestialité). L'oeuvre se dote d'un habillage original, raffiné, avec des décors dirigés par Anton Furst, concepteur de la Batmobile et de Gotham City pour le Batman de Burton cinq ans plus tard. Mais elle manque peut-être de cohésion dans l'écriture.


Sa profondeur en pâtit, malgré des intuitions éblouissantes. Ce film 'radical' peut laisser pantois ceux qui ne seront pas absorbés par le délire ; il est difficile d'éprouver de la sympathie pour ces personnages assez creux, éventuellement acides. Qu'importe la distance, La compagnie des loups inspire le respect voir une certaine admiration pour son énergie et ses effusions flamboyantes. Les transformations en loups et les arrachages de peau assortis sont peut-être un peu caoutchouteux, leur puissance empêche toute désuétude et n'ont rien à envier au Loup-Garou de Londres, 'grosse' production horrifique à la même époque (1981).


https://zogarok.wordpress.com/

Créée

le 2 avr. 2015

Critique lue 534 fois

7 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 534 fois

7

D'autres avis sur La Compagnie des loups

La Compagnie des loups
real_folk_blues
6

La queue du loup...

Avant de s’attaquer au mythe du vampire, dont on pensait peut être à l’époque de la peinture d’Anne Rice qu’elle était trop maniérée —pauvres fous que diriez vous maintenant des vampires portant des...

le 29 août 2013

30 j'aime

25

La Compagnie des loups
-Marc-
6

L'appel du loup

Variations fantasmagoriques autour du conte de Perrault. "On voit ici que de jeunes enfants, Surtout de jeunes filles Belles, bien faites, et gentilles, Font très mal d'écouter toute sorte de...

le 23 févr. 2014

20 j'aime

5

La Compagnie des loups
takeshi29
5

Toi aussi t'aimais la compagnie de Mad Movies quand t'étais louveteau ?

On était en 1985, à une époque où Mad Movies, Starfix & Co offraient aux slips d'une génération de polissons leurs premiers émois, Neil Jordan s'était mis en tête de pondre un "Petit chaperon...

le 1 mai 2020

19 j'aime

15

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2