On l’annonçait déjà dans le second volet : La condition de l’homme propose une approche singulière de la guerre, non seulement parce qu’elle reste en arrière-plan des deux premiers opus, mais aussi, et surtout, parce qu’elle est abordée selon deux points précis : au moment de son achèvement, et par ceux qui la perdent.
Le conflit n’en finit par de se conclure, et les classes des jeunes soldats du chapitre précédent en étaient déjà vides de sens : ils savaient que le Japon était en train d’échouer, et qu’ils ne feraient pas la différence dans cet absurde baroud d’honneur.
De ce point de vue, La Prière du Soldat ressemble beaucoup aux Feux dans la plaine d’Ichikawa paru deux ans plus tôt (au moment précis du début de la trilogie de Kobayashi) : une errance dans une nature hostile, virant presque à l’abstraction visuelle par des plans obliques, et l’insistance sur une nature indifférente, notamment dans cette forêt en forme de labyrinthe, qui perd davantage quelle protège. La faim, la souffrance, la distance ont raison d’un héros mené à bout, et qui n’est plus en position d’agir. Alors qu’il était toujours au mitan des oppresseurs et des opprimés, dans cette posture permettant une forme d’héroïsme humaniste, Kaji est désormais un soldat d’une armée en déroute, sans réelle distinction par rapport aux autres. On a beau lui reprocher la désertion alors qu’il ne faisait que rejoindre un autre bataillon, le sien étant décimé, Kaji comprend que la hiérarchie n’existe plus : le pays est en cendres. Le film, de ce fait, insiste davantage sur la collectivité, au hasard des rencontres, et dilue certains mécanismes qu’on avait vus auparavant. Les femmes apparaissent (échos à la grande absente, l’épouse Michiko, à qui s’adresse la prière du titre), victimes à leur tours : les prostituées, les civiles en proie au viol dans les camps d’emprisonnement, jusqu’à une scène d’orgie désespérée qui illustre bien ce crépuscule de la nation.
Ne reste, dans cette longue marche à la destination incertaine, (et plombée par une musique trop insistante), que la question de la dignité. C’est le cas dans le tribunal face aux Russes de l’armée rouge, dans un expressionnisme que n’aurait pas renié Welles, et dans cette avancée dans la neige, un élément qui ouvrait déjà les deux premiers volets de la trilogie. Chape blanche, autre déclinaison de la cendre, elle accroît l’hostilité d’une trajectoire nue et fragile, qui se rattache au seul élément capable de sauver le désespéré : l’amour.
Violemment pessimiste, La Condition de l’homme ne ménage pas ses moyens pour chanter la fin d’une nation, et la radicalité de son désespoir empêche probablement une distance qui permettrait davantage de finesse dans le propos. En évoquant une période plus lointaine, et moins traumatisante, Kobayashi trouvera le parfait point d’équilibre pour son expression.
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