Premier film tourné en couleur et réalisé par Alfred Hitchcock, La Corde n’est pas seulement un long-métrage où le phénoménal cinéaste nous donne une définition pertinente du huis-clos, c’est également un exercice de style cinématographique exemplaire. Ce dernier s’attaque à un sujet frappant, celui de la cruauté des êtres humains se croyant supérieur aux autres, se permettant d’assassiner de sang-froid un de leurs semblables. La première fois que j’ai vu ce film, j’étais effaré. C’était bien la première fois que j’assistais à une scène de meurtre dès les premières secondes d’un long-métrage. Ce genre d’introduction cynique et machiavélique m’a complètement intrigué, plusieurs questions me brûlaient les lèvres comme Qu'est que les étudiants vont faire prochainement ? Quelle est la prochaine étape de leur expérience sadique ? Jusqu’où vont-ils aller dans leur étude ?
Et malgré ces questions dans la tête, ce sacré cinéaste nous fait embarquer dans une situation tordue, inattendue et invraisemblable, celle de passer une soirée avec des invités, sur la scène de crime, avec le cadavre pourrissant dans un meuble. Je n’en revenais pas ! Il n’y a qu’Alfred Hitchcock qui peut faire un truc aussi diabolique, preuve qu’on ne regarde pas n’importe quel film avec ce cinéaste aux commandes. Bien évidemment, au début de la soirée, je me remettais dans le même état que j’étais après le meurtre, à me poser des questions comme Qu'est qui va se passer si les invités découvrent le cadavre ? Les étudiants vont-ils décimer les invités ? C’était plus fort que moi, j’étais séduit par ce scénario d'une qualité d'écriture rare. Même si le dîner n’a rien d’extraordinaire, alimenté par un groupe de personnages parlant de tout et de rien, la culpabilité se pèse de plus en plus, en particulier entre les deux étudiants et l’un des invités remarquant nettement l’étrange comportement de ces derniers.
Chaque personnage a son importance dans cette production froide et étonnante, surtout les trois derniers, nous poussant à croire que la vérité va finir par éclater. L’un des étudiants maîtrise ses émotions, l’autre se laisse peu à peu envahir par la panique et l’invité ne les quitte pas des yeux, c’est un trio de protagonistes qui marche comme sur des roulettes, campés par un trio d’acteurs remarquables comme James Stewart ou John Dall. On peut constater un autre prodige extraordinairement bien maîtrisé par le réalisateur, celui de réaliser un film, d'une durée d’une heure et vingt minutes, sur un plan-séquence. Bien évidemment, il est impossible que le film soit réalisé uniquement sur un même timing, ça m’étonnerait beaucoup que cela se fasse sans que l’un des acteurs fasse une erreur dans ses répliques. Surtout que neuf personnages sont présents dans cette oeuvre, exactement le même nombre que celui du long-métrage Lifeboat, autre production signée par le même réalisateur, ayant un contexte assez similaire à celui de La Corde.
Afin de bien construire son long-métrage sous un aspect théâtral et très réaliste, le cinéaste a coupé son film en onze plans exceptionnellement longs, en usant de bobines permettant à n'importe qui de filmer une scène pendant une dizaine de minutes. J’ai également lu dans un magazine que le film a été tourné avec une caméra Technicolor, un engin connu dans le cinéma pour être encombrant et lourd. Pourtant, le film ne donne pas l’impression que le cinéaste a éprouvé des difficultés à l’utiliser, les plan-séquences se regardent sans détecter le moindre tremblement. Et la mise en scène est incroyablement bien structurée, les coupures entre chaque plan se voient à peine. Le cinéaste a tout fait en sorte que chaque coupure ne se voit pas en employant des techniques simples comme le passage d'un personnage devant la caméra. Un défi bien accompli pour le cinéaste, aussi bien que celui de faire régner une ambiance de thriller classique mais redoutable, avec le thème de l'homosexualité bien abordée et mis en contexte. Bien dommage que la production ait été mal accueillie à sa sortie alors que le cinéaste était fier de son travail. Et je ne peux que l’approuver, sans la moindre hésitation. 8/10
Je suis sûr que vous ne prenez pas ses idées fixes et ses cauchemars au sérieux !